13 mai à Paris : Face à l’explosion des inégalités : que pouvons-nous faire ?
Par Collectif Roosevelt, le 6 juin 2017
Parce que l’information est une arme et que le collectif Roosevelt se veut force de proposition, nous avons choisi, pour faire face au pessimisme latent pendant la période de pause séparant l’élection présidentielle et les élections législatives, de ré-ouvrir les questions cruciales que soulèvent le mauvais partage du temps de travail, la déconstruction progressive du droit du travail, et le creusement des inégalités qui en résulte.
Le 13 mai 2017, plus de 40 personnes se sont retrouvées dans l’amphithéâtre des Grands Voisins, Paris 14e, pour un après-midi de rencontre organisé en deux temps, un premier temps d’interventions de « grands témoins » suivi d’un deuxième temps d’échanges directs entre les personnes présentes, dans la perspective de propositions concrètes, à court et moyen terme.
Nous remercions chaleureusement Jean-Daniel Senesi pour l’animation de l’après-midi, Nicolas Duvoux, Jean Merckaert, Robert Crémieux, Zalie Mansoibou et Guillaume Madoz pour leurs contributions appréciées.
1) Une présentation générale de la France des pauvretés où les inégalités ne cessent de se creuser (Nicolas Duvoux, professeur de sociologie)
Nicolas Duvoux est professeur de sociologie à l’Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis, chercheur au CRESPPA (Centre de Recherches Sociologiques et Politiques de Paris) – LabToP (Laboratoire Théories du Politique). Il est également rédacteur en chef de laviedesidees.fr
Parmi ses publications :
- Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politiques publiques, Paris, Seuil, 2012
- L’autonomie des assistés. Sociologie des politiques d’insertion, Paris, PUF, 2009
Il a également co-dirigé L’avenir de la solidarité, Paris, Puf, 2013 et co-écrit La régulation des pauvres, Paris, PUF/Quadrige, 2008 et La société biographique. Une injonction à vivre dignement, Paris, L’Harmattan/Logiques sociales, 2006.
Il signe la page « La pauvreté n’est pas seulement monétaire » dans le rapport statistique 2016 du Secours Catholique et l’article « Il faut repenser la protection sociale » du numéro 354 de la revue Projet, Extrême droite : écouter, comprendre, agir :
Le ressentiment envers les « assistés », dont certains partis politiques font leur miel, s’enracine dans un système de solidarité à deux étages. Au lieu de gérer la pauvreté, on ferait mieux, pour le sociologue Nicolas Duvoux, de la combattre et de refonder une protection sociale qui bénéficie à tous.
C’est également la conclusion que l’on peut retenir de la présentation de Nicolas Duvoux : « Repères sur les inégalités et la pauvreté »
Depuis une trentaine d’années (ère de la globalisation, de la mondialisation), l’extrême pauvreté a considérablement reculé dans le monde, notamment en Chine et en Inde.
Les gagnants de cette évolution sont :
- les super-riches des pays riches (surtout aux USA)
- les classes moyennes émergentes des pays pauvres (notamment grâce au développement de la protection sociale)
Les perdants :
- les classes moyennes et populaires des pays développés, dont les revenus stagnent
- les pays les plus pauvres, qui n’ont pas vu leurs revenus évoluer
En France, d’après l’indice GINI, il y a eu une baisse importante des inégalités entre 1970 et 1990, mais elles repartent de nouveau à la hausse. Cependant le taux de pauvreté reste relativement stable : 14 % env. – alors qu’il augmente en Allemagne et en Suède
Les plus frappés (chiffres de 2013) :
- les chômeurs, dont 40 % sont pauvres
- les inactifs, dont 20 % ont moins de 18 ans, ce qui prépare la pauvreté de demain
- 32,5 % des familles monoparentales (dont 80 % de parents femmes)
- 20 % des couples ayant plus de 3 enfants
A noter :
- retour de l’opinion contre les gens en situation d’exclusion, porté par un discours qui pénètre la catégorie entre précaires et moyens.
- évolution de la consommation des ménages : les dépenses pour le logement sont en augmentation, au détriment des dépenses d’alimentation.
L’objet de l’intervention n’est pas de présenter ici des propositions de solutions, mais on peut signaler ce qu’il ne faut pas faire :
- déréguler la rémunération du travail
- baisser l’indemnisation du chômage
2) liens entre dégradations de l’environnement et creusement des inégalités (Jean Merckaert, revue Projet)
Jean Merckaert est actuellement rédacteur en chef de la revue Projet
Il signe l’article « Pour que d’autres puissent simplement vivre » du numéro 356 de la revue Projet, Inégalités, un défi écologique ?:
Dégradations de l’environnement, explosion des inégalités : faut-il choisir son combat ? Et si les deux procédaient d’un même mouvement ? S’il nous faut « vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre », à quelles transformations sont appelées nos sociétés ?
Jean Merckaert appuie son propos sur le texte commun adopté par les 15 associations (dont le collectif Roosevelt) à l’origine du colloque « Réduire les inégalités, une exigence écologique et sociale » pour dire en quoi les inégalités sont aussi un immense défi écologique.
http://www.revue-projet.com/articles/2017-02repenser-les-inegalites-face-au-defi-ecologique/
Les inégalités monétaires se situent plus au niveau du patrimoine qu’au niveau des revenus, ce qui pose une question d’éthique : au nom de quoi peut-on posséder autant ? (cf. la position des Jésuites, à l’origine de la revue Projet : les biens appartiennent à tous, ceux qui se les approprient les volent).Ce déséquilibre est une menace pour nos institutions. Exemple flagrant dans le domaine de la santé : plus de 20 000 lobbyistes sont à Bruxelles, essentiellement dans l’industrie pharmaceutique et la finance. L’augmentation rapide de ces fortunes creuse la défiance envers les institutions, notamment de santé, les inégalités de la société entraînent une dégradation du lien social, malaise qui augmente la violence, les addictions…
Ce problème de cohésion sociale n’est pas nouveau (les inégalités fiscales ont entraîné, entre autres, la chute de l’empire romain et la révolution française), mais aujourd’hui il y a en outre un défi écologique, qui, lui, est nouveau.
Les 10 % les plus riches de la population mondiale produisent 43 % des gaz à effets de serre, alors que les 10 % les plus pauvres n’en produisent que 1 %. Face à la dégradation environnementale, les victimes sont les plus pauvres et les plus fragiles (au Bengladesh, au Sahel, etc.), qui n’ont pas les moyens d’adaptation aux événements extrêmes, dont disposent les plus riches.
Un plancher social juste et écologique impliquerait une consommation globale inférieure à 2,6 ha/habitant/an. Seuls les pays les plus pauvres sont dans ces limites (pays riches : 7 ha/h/a)
Comment repenser les inégalités face à ce défi écologique ?
- sortir du court terme,
- sortir de la financiarisation de l’économie.
- mais aussi, au niveau des imaginaires, délégitimer ce qui légitime les inégalités, la méritocratie
- changer le discours « lutter contre » et proposer un récit positif et porteur – plutôt que de parler de réduire les inégalités, promouvoir le partage,
- ce qui implique une influence politique forte.
3) Les inégalités face au chômage et au travail et la vie sociale des personnes sans travail (Robert Crémieux, Revue Partage)
Robert Crémieux est directeur de la revue Partage, ancien président du MNCP (Mouvement National des Chômeurs et Précaires) http://www.mncp.fr/site/
Face au chômage et à la précarité, portons ensemble un vrai changement
C’est le titre de la postface collective du livre sorti en janvier 2017, Chômage, précarité : halte aux idées reçues ! porté par le MNCP et l’association des Amis du MNCP-Partage, fruit de la coopération de 25 organisations associatives et syndicales (dont le collectif Roosevelt), coordonné par Jean-François Yon.
Et dans la même postface, en conclusion, un projet explicité en quatre points :
- Sortir de la précarité et de la pauvreté les millions de personnes qui s’y trouvent
- Donner la parole à celles et ceux qui sont privés d’emplois
- Offrir à tous des conditions de vie dignes et favoriser l’intégration de tous dans la société
- Créer des emplois décents pour tous
Robert Crémieux écrit :
Inégalités, de quoi parle-t-on ? De l’accumulation de richesses à un pôle, avec un petit nombre de personnes et, à un autre pôle, de la pauvreté d’un nombre grandissant de personnes.
Envisager cette question du point de vue des chômeuses, chômeurs et précaires revient à poser la question : y a-t-il une corrélation entre la pauvreté des uns et la richesse excessive des autres ? Le MNCP apporte une réponse positive à cette question et met en cause les politiques suivies par les gouvernements en France et les institutions européennes.
Dès lors, quelles sont les solutions que l’on devrait apporter pour corriger une situation inacceptable du point de vue humain, économique et social ? La réponse est politique, dans la mesure où le chômage n’est pas un accident de parcours mais le résultat de choix de politiques favorisant certains au détriment d’autres.
Le MNCP a des propositions à porter au nom des chômeuses, chômeurs et précaires. En résumé : partage du temps de travail et partage des richesses. Un des slogans du MNCP est : « Temps, travail, argent, changeons les règles ! »
Le MNCP existe depuis 30 ans. Il joue, entre autres, un rôle de syndicat face à Pôle emploi et aux Caisses d’Allocations Familiales, pour défendre les chômeurs et précaires, fortement stigmatisés depuis le quinquennat de N. Sarkozy. Et le dernier quinquennat a échoué dans la lutte contre le chômage.La remise à l’ordre du jour des inégalités a été développée notamment par Thomas Piketti.
Depuis « la crise », les revenus des plus hauts dirigeants ont augmenté de manière extravagante, le partage des bénéfices des entreprises se fait de plus en plus au profit des actionnaires plutôt que des salariés (cf. revue Challenges « Fortunes de France »). On évalue les finances de l’ombre à 92 000 milliards de dollars fin 2015. En France, le revenu des chômeurs en temps partiel tourne autour de 730 € par mois, donc sous le seuil de pauvreté.
8 axes de travail sont explorés par le MNCP pour sortir de cette situation :
- rénovation du régime d’assurance chômage et mise en place d’un revenu garanti
- réduction du temps de travail
- réforme de la fiscalité
- tourner le dos aux politiques de réduction des charges sociales des entreprises (qui ne font que dégager de l’argent pour les actionnaires)
- transition écologique
- soutien public à l’économie sociale et solidaire
- plan de relance des services et entreprises publics
- fin des précarités salariales (contrats courts)
4) Discriminations et inégalités dans l’accès des jeunes à l’emploi (Guillaume Madoz, JOC )
Guillaume Madoz est trésorier du mouvement Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC)
La JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) est une association qui œuvre à l’insertion des jeunes dans la société et dans la vie. Depuis plus de 90 ans, elle propose aux jeunes de se rassembler et leur offre les moyens concrets de mettre en œuvre des projets qu’ils auront eux-mêmes définis. Animée par les jeunes eux-mêmes, la JOC lutte contre leur exclusion et vise à favoriser leur autonomisation en développant des solidarités actives.
Le collectif Roosevelt a participé au dernier grand rassemblement de la JOC : le 15 avril 2017 au Paris Event Center
« Jeunes privés d’emplois dignes, nous ne sommes rien ? Soyons tout ! »
Nous, jocistes, croyons que le travail digne est un droit pour chaque jeune, qu’il doit être source d’épanouissement, de stabilité et de protection contre les galères de la vie. Nous avons soif d’avoir un emploi, car comme nous le dit Doria, nous attendons « d’un travail d’être reconnu en tant qu’individu ». Le mythe d’une jeunesse fainéante est faux !
Le mouvement Jeunesse Ouvrière Chrétienne est né en 1927 et a toujours été mené par des jeunes.
Il met en place et anime des commissions de travail autour de thématiques, appuyées sur des expériences de vie.
En ce qui concerne le chômage, on ne parle pas de chômeurs mais de « privés d’emploi ».
Les jeunes des milieux ouvriers sont les plus touchés par le chômage (45 % des chômeurs). Ils se perçoivent dans un monde où ils n’ont pas de droits, où ils sont seuls face à la concurrence. Les contrats précaires s’envolent. Devant ce manque de stabilité, il n’est plus question de vendre ses compétences ni de s’épanouir dans le travail : on loue ses forces de travail ; comme on loue un outil ou une auto quand on en a besoin.
En outre, le chômage de masse entraîne une baisse des exigences des travailleurs, la peur du licenciement.
Les jeunes n’identifient pas les rouages complexes du système :
- mise en concurrence permanente des ouvriers entre eux
- droit non respecté
- abus non dénoncés
- méconnaissance des droits
- autodépréciation, culpabilisation – car chacun a envie d’un travail bien réalisé et honnête
- discrimination : sur les origines, la situation familiale, l’état de santé…
A noter : 15 000 personnes meurent au travail chaque année en France (contre 3 600 sur la route)
Lors du rassemblement de la JOC, le 15 avril 2017, une liste de doléances a été établie, où domine le désir d’un emploi digne, sans discrimination, le désir d’être reconnu. D’où l’importance de continuer de s’engager aux JOC.
À l’issue du temps d’échanges entre les personnes présentes, plus court qu’espéré, une idée simple et porteuse d’espoirs est retenue : la création d’une « liste 13 mai » pour le partage d’informations ou de propositions susceptibles de contribuer au mouvement citoyen de reliance dans lequel nous nous reconnaissons.
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