Quel scénario privilégier? Une loi pour la semaine de 4 jours ou une modulation pour chacun-e du temps de travail tout au long de la vie ?
Clarification :
Dans une situation de croissance faible ou nulle, toutes les pistes de partage du travail valent d’être explorées, faute de quoi ce sera bien un partage qui prévaudra: un partage de facto, inégalitaire, condamnant les un(e)s à de longues périodes de non travail, d’autres à la précarité et d’autres enfin à la surcharge d’un emploi du temps saturé. Les outils et les pratiques existent déjà pour la plupart, ils sont déjà mis en œuvre, souvent de manière incohérente et hésitante. Faut-il rester enlisé entre plusieurs scénarios ?
Avantages de la semaine de 4 jours
- Si l’on veut créer un choc macroéconomique maximal sur l’emploi, une loi sur les 32 heures ou la semaine de quatre jours seraient les options les plus appropriées. Chaque fois qu’on réduit le temps de travail de façon collective, on constate que l’érosion de l’emploi est moins rapide pendant quelques années.
- Une réduction du temps de travail sur la semaine plutôt que sur la journée ; c’est est plus confortable pour le travailleur de répartir des heures sur quatre jours plutôt que sur cinq, mais surtout ça oblige l’employeur à créer des emplois supplémentaires pour compenser l’absence de ce 5ème jour.
Désavantages de la semaine de 4 jours
- C’est un raisonnement purement arithmétique.
- Toutes les entreprises n’ont pas la même capacité à réduire le temps de travail. Il ne faut pas que la mesure soit obligatoire.
- On ne refera pas les 35 heures, ça a créé dans l’opinion une vague de mécontentement.
Avantages d'une modulation pour chacun-e
- Les salarié-e-s pourraient travailler moins à des moments précis (par exemple au moment de l’arrivée des enfants, de la reprise d’études, de la fin de vie active).
Désavantages d'une modulation pour chacun-e
- C’est une solution beaucoup moins créatrice d’emplois qu’un passage à 32 heures pour tous.
- Il y a un fort risque de créer du temps partiel subi.
Propositions de résolution du débat :
Pour refonder notre contrat social : le « droit à l’emploi » ou le revenu de base ?
Rendre le droit à l'emploi opposable ?
Le droit à l’emploi est inscrit à l’article 5 du préambule de la constitution de 1946, toujours en vigueur : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. » (Le « contrat social », qui relie chaque individu à la collectivité, constitue, dans cette optique, un ensemble indissociable de droits et de devoirs.)
Pour rendre ce droit effectif, il faut qu’il soit « opposable ». Chaque citoyen dépourvu d’emploi doit pouvoir exiger qu’il lui en soit fourni un. Les emplois aidés dans le secteur non marchand (associations et services publics, structures d’insertion) peuvent être le moyen de réaliser ce droit à condition que leur conclusion soit décidée par le chômeur et non « prescrite » par le service public de l’emploi.
Une telle révolution doit évidemment être, dans un premier temps, expérimentée à petite échelle au bénéfice des publics les plus en difficulté. Cela pourrait être l’ambition donnée à la loi du 29 février 2016 relatif à l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » votée à l’initiative d’ATD Quart Monde et qui sera mise en œuvre sur 10 territoires volontaires.
Partant de la conviction que personne n’est inemployable, il s’agit de créer des emplois en fonction des compétences et besoins présents sur le territoire. Toute personne en situation de chômage de longue durée se verra proposer un emploi (mais elle ne sera jamais obligée de l’accepter). Les travaux réalisés se concentreront sur des activités semi-solvables, que les entreprises ordinaires ne peuvent pas réaliser car ils n’offrent pas une rentabilité suffisante.
Doit-on abandonner l’objectif du plein-emploi ?
Les partisans du « revenu de base » (Aussi appelé : « revenu universel », « revenu inconditionnel », « revenu d’existence », « allocation universelle », etc,… Plus d’information sur www.revenudebase.info) proposent de remplacer l’objectif du plein-emploi par celui de la pleine activité en partant du principe que le travail ne se réduit pas aux activités dont on peut tirer une rémunération.
Pour se faire, chaque citoyen aurait le droit, tout au long de sa vie, à un revenu de base, sans condition, ni contrôle des ressources. Cela aurait pour conséquence de mettre fin à la stigmatisation des bénéficiaires des aides sociales et de donner les moyens à chaque individu de s’engager dans des activités auxquelles il donne du sens, qu’elles soient professionnelles ou non. Des approches philosophiques très différentes conduisent à des montants de revenu de base très différents (généralement entre 300€ et 1000€ chaque mois) et des évolutions de la protection sociale diamétralement opposées (renforcement du service public ou privatisation). Les pistes de financement sont nombreuses et dépendent avant tout des objectifs de leurs promoteurs. Par exemple l’approche par le dividende universel vise à réformer le système de création monétaire.
A quoi s'opposent les détracteurs (progressistes) du revenu de base ?
Les détracteurs du revenu de base considèrent l’idée peu réaliste car les sommes à mobiliser pour créer un revenu décent sont hors de portée. Pour certains, le principe d’un revenu inconditionnel est la négation d’un contrat social dans lequel tout droit est la contrepartie d’un devoir. Enfin, elle peut traduire le renoncement à l’objectif « d’emploi pour tous ».
Ils avancent également que les services publics et le système de protection sociale constituent déjà une forme de revenu universel – avec certains éléments monétaires, d’autres en nature – qu’il faut en priorité améliorer afin que chacun reçoive en fonction de ses besoins.
Propositions de résolution du débat :
Pourquoi la réduction du temps de travail est-elle devenue un sujet tabou ?
Clarification :
L’échec politique des lois Aubry peut sembler surprenant, alors que la RTT était une revendication syndicale forte, que le patronat en avait admis le principe et que la droite en avait lancé l’expérimentation (loi de Robien). Quelle en est la raison ? Les opinions divergent fortement sur les raisons de cet échec.
Trop d'enjeux partisans ?
Pour les économistes, commentateurs et politiciens classés à droite, les 35 heures ont dégradé durablement la situation économique des entreprises, obligeant celles-ci à brider les salaires et intensifier le travail et provoquant le mécontentement des salariés. Cependant ces arguments ont été démentis par les faits. Le problème vient surtout du caractère contraignant de l’existence d’un cadre légal.
A gauche, au contraire, nombreux sont ceux qui considèrent que les lois Aubry n’ont pas été assez contraignantes : la seconde loi n’a imposé aux employeurs ni réduction du temps de travail ni création d’emploi, les aides ont été distribuées sans contrôle. Il en aurait résulté de faibles réductions du temps de travail et des embauches insuffisantes, donc une intensification du travail qui, conjuguée à de nouvelles contraintes organisationnelles (flexibilité horaire, polyvalence) a dégradé les conditions de travail.
Un sabotage de la loi Aubry 2 ?
Pierre LARROUTUROU considère que l’absence de négociation sur le contenu des lois Aubry a été une erreur, car elle a poussé le patronat à se positionner en opposition au processus. Il aurait fallu rester sur un principe de RTT volontaires, sur une base contractuelle (il reproche à la seconde loi de n’avoir conditionné l’octroi des aides ni à l’ampleur de la RTT ni au nombre d’embauches).
L’Insee estime que les entreprises ayant bénéficié des exonérations Aubry 2 ont diminué leur durée du travail de 6 à 7% et réalisé 4% à 5 % d’embauches environ, contre une RTT de 10 % et 6 à 7% de créations d’emplois pour celles s’étant engagées dans le cadre de la première loi.
La différence est effectivement importante. Néanmoins, le rapport entre l’ampleur de la RTT et celle des créations/sauvegardes d’emplois est assez proche dans les deux cas : les entreprises bénéficiaires de la seconde loi auraient donc, malgré l’absence d’engagement conventionnel, réalisé des embauches proportionnées à la RTT.
On peut en retenir que si l’on veut réfléchir à de nouvelles réductions du temps de travail, celles-ci sont plus satisfaisantes pour les employeurs et les salariés lorsqu’elles sont négociées dans des entreprises volontaires.
Proposition de résolution du débat :
Les gains de productivité vont-ils se poursuivre ? Doit-on se préparer aux ravages de la robotisation et de l’automatisation ?
Clarification :
Entre 1974 et 2014 l’économie française a doublé sa production avec 4 % d’heures de travail en moins. C’est l’origine première du chômage de masse d’aujourd’hui. Si la productivité horaire a augmenté plus vite que la production ces dernières décennies, cette tendance va-t-elle se poursuivre ? Quels gains de productivité pourraient générer le numérique et les robots ? Menacent-ils de faire disparaître le travail humain comme l’anticipe le Rapport du Conseil national du numérique de 2016 ?
D’un côté, des scénarios enchanteurs (Jeremy RIFKIN) promettent un avenir radieux grâce à la technique. C’est le scénario de la fin heureuse du travail. Péchant par excès d’optimisme, ce scénario techno-béat reste peu crédible. De l’autre, des scénarios noirs s’effrayent de ce que les robots pourraient remplacer des millions d’emplois.
Dans la veine sombre, l’étude de Carl FREY et Michael OSBORNE conclut que 47 % des emplois risquent d’être automatisés aux États-Unis à l’horizon 2030. Le cabinet Roland Berger trouve 42% de métiers hautement susceptibles d’automatisation d’ici 2025 pour la France. Ce scénario est pris au sérieux et structure le débat.
Ceux qui pensent que les robots et l'automatisation ne nous contraindront pas à abandonner l'objectif du plein emploi
- Tout d’abord, des problèmes de faisabilité économique et des résistances culturelles risquent fort de se manifester. L’opinion pourrait bien se saisir des grandes questions technologiques (OGM, nanoparticules, robots, surveillance numérique, …), dont les dimensions sociales, écologiques et politiques lui échappent de moins en moins, notamment grâce au travail des associations et au courage des lanceurs d’alerte et de certains médias.
- Par ailleurs l’économie « immatérielle » ne peut pas plus échapper aux contraintes physiques de la « vieille économie ». Certes, l’information en elle-même est immatérielle, mais les ordinateurs représentent déjà 10% de la consommation électrique mondiale en 2015, soit un impact sur le climat équivalent à celui du transport aérien.
- Les robots, les serveurs et les imprimantes 3D ne naissent pas dans les choux. Les construire nécessite beaucoup de matières premières et de minerais qui se raréfient. Le mythe d’une croissance high tech repose sur une hypothèse d’énergie et de ressources inépuisables. Or dans un monde fini, les ressources énergétiques seront de plus en plus chères et rares.
- Ensuite, se focaliser sur les destructions d’emploi empêche de voir les emplois créés grâce à ces technologies. En France, sur les quinze dernières années, le numérique a détruit 500 000 emplois mais il en a créé 1,2 million.
- Rappelons-nous le rapport « Nora-Minc » de 1978, qui promettait un effondrement de l’emploi dans les services. Pourtant la part des services dans l’emploi total qui était de 57 % en 1980 frôle aujourd’hui les 80% !
- Paradoxalement, l’existence même d’un secteur tertiaire contribue au ralentissement des gains de productivité dans les années à venir, tempérant les affres de la numérisation à tout va.
- D’abord, parce que les progrès technologiques peuvent transformer les métiers sans forcément les supprimer, comme les thermomètres électroniques pour les soignants, les logiciels pour les comptables, les niveaux laser dans le BTP.
- Ensuite parce que de multiples cœurs de métiers ne sont pas -ne seront jamais- mécanisables. Les soins, l’éducation, l’animation, le spectacle, la conception, la création, le management, l’organisation, le conseil, l’information, la justice, la police, tout ce que l’on appelle les services relationnels, ne pourront être effectués que par des êtres humains, dans les sociétés humaines.
- Et dans ces métiers de services « purs », il n’y a pas de saut de productivité à attendre. Comme l’explique Jean Gadrey sur son blog, intensifier le travail dans le secteur tertiaire signifie automatiquement dégrader la qualité du service rendu et les conditions de travail des travailleurs. C’est l’impasse dont le « low cost » est la triste illustration : avec la baisse du « coût » du travail, c’est aussi la qualité qui est réduite, la souffrance et l’épuisement au travail qui se répandent, avec des coûts humains et sociaux croissants. Un médecin ne peut pas ausculter plus vite ou un éducateur écouter plus vite, un observateur observer plus vite, un surveillant surveiller plus vite…
Ceux qui pensent que les effets de l’uberisation sur l’emploi et notre modèle social seront considérables
- L’uberisation n’est que la première vague d’un tsunami. La seconde, portée par la robotisation et l’intelligence artificielle, risque d’emporter des pans entiers de notre marché du travail, chez les cols blancs cette fois.
- La révolution à venir de l’intelligence artificielle aura des effets bien plus importants encore avec le nouveau cycle de «mécanisation du cognitif» qui s’enclenche. Ce phénomène ouvre la voie à des modèles économiques radicalement différents et très peu de secteurs seront épargnés. Cela menace notre vieux modèle fondé sur le salariat.
- L’emprise croissante de la technologie sur nos vies va nous entraîner vers un «robotariat» sans horaires de travail ni charges sociales qui abolira ce qu’il reste du prolétariat.
- L’uberisation n’est que la face émergée de l’iceberg, prémices du monde à venir. Ce n’est pas un phénomène de destruction créatrice, chère à Schumpeter. Bruno Teboul, vice-président du cabinet de conseil en innovation Keyrus, parle de «disruption destructrice». Piloter cette transition devient une urgence politique.
- Le problème, c’est que les emplois créés, hyperspécialisés, ne se substitueront pas aux emplois détruits. On va assister à une polarisation de l’emploi, avec d’un côté une élite qui conservera des boulots intéressants et qualifiés, et, de l’autre, une armée de travailleurs cantonnés dans ce que les Américains appellent les « bullshit jobs » (littéralement « boulots de merde »). Et au passage, de nouveaux chômeurs, bien sûr.
Proposition de résolution du débat :
Croissance et productivité, croissance et population active : des dynamiques complexes
Clarification :
Le constat fait d’une croissance qui « ne crée pas d’emploi » a de quoi surprendre. On entend souvent expliquer qu’en France, l’économie crée des emplois à partir d’1,5 % de croissance et chacun peut constater que c’est ce qui se produit lors de chaque phase de reprise économique. C’est donc vrai à court terme.
A moyen et long terme, par contre, la croissance pousse les gains de productivité, par l’utilisation optimale des capacités de production et par l’investissement dans des technologies plus performantes (de même que les gains de productivité, en améliorant la compétitivité, accélèrent la croissance). Les gains de productivité compensant (voire surpassant) l’augmentation de la production, le nombre d’heures travaillées n’augmente pas (voire diminue).
La comparaison entre l’évolution de l’emploi et celle de la population active pose une autre question : L’augmentation de la population active se traduit-elle par une progression de l’emploi ou un accroissement du chômage (à durée moyenne du travail constante) ?
Proposition de résolution du débat :
L’observation des faits économiques conduit à une réponse nuancée. Si la population active est brusquement augmentée par un apport important de personnes non qualifiées, le volume d’heures travaillées, l’emploi et le PIB ont peu de chances d’augmenter (sauf si l’on est en situation de pénurie de main-d’œuvre). Si, par contre, la population active additionnelle est qualifiée, entreprenante et dispose de capitaux, elle générera de nouvelles activités économiques.
La réalité se situant presque toujours entre ces deux extrêmes, l’augmentation de la population active entraînera généralement un accroissement moins que proportionnel du volume d’heures travaillées ; l’emploi et le chômage progresseront simultanément.