Les scénarios possibles
Scénarios de réduction collective du temps de travail (RCTT)
Si les lois Aubry avaient été appliquées à l’ensemble des salariés du secteur privé, elles auraient créé les 700 000 emplois prévus et le nombre de chômeurs aurait reculé d’un demi-million.
On peut envisager des mesures équivalentes, voire plus importantes, mais les mesures « verticales », exclusivement contraignantes, risquaient de provoquer l’hostilité des employeurs sans susciter l’adhésion des salariés. Il est alors possible d’envisager de nouvelles aides aux entreprises engageant volontairement des réductions collectives du temps de travail, en s’inspirant des lois de Robien et Aubry I. C’est l’orientation choisie par la plupart des propositions ci-dessous.
Une réduction de la durée légale à 32 heures (CGT)
La CGT s’est, en 2015, positionnée en faveur d’un passage à 32 heures sans perte de salaire. Dans le document présentant ses propositions, publié le 13 octobre 2015, elle se prononce pour une loi abaissant à 32 heures la durée légale du travail, liant la réduction du temps de travail à l’obligation de créer des emplois et « laissant une large place pour sa mise en œuvre à des négociations et des accords majoritaires dans les branches et les entreprises ». Cependant la CGT ne précise pas si des mesures de réduction des heures supplémentaires doivent contraindre les entreprises à négocier la RTT afin d’assurer la généralisation rapide des 32 heures. Le financement serait assuré par un prélèvement de 20 milliards sur les exonérations de cotisations et autres aides accordées aux entreprises (estimées à 200 milliards par an).
La CGT est la principal défenseure de cette approche mais d’autres organisations sont favorables :
Un accord national interprofessionnel sur une réduction du temps de travail générale de 4% (Denis Clerc)
Denis Clerc, fondateur d’Alternatives Economiques, propose de ne toucher ni à la durée légale du travail, ni à la liberté de chaque employeur de décider d’embaucher ou non. Sa proposition se contente de réduire la durée effective de travail de quelques heures par mois, ce qui peut se faire par exemple par accord national interprofessionnel relayé ensuite par une loi, comme ce fut le cas en 2013 pour l’accord national sur la sécurisation de l’emploi.
Il propose de réduire les cotisations sociales salariales dans des proportions telles que le salaire net ne bouge pas. Puisque l’équivalent mensuel de la durée légale hebdomadaire actuelle est (pour un emploi à temps complet) de 151,67 heures, une réduction de 6 heures de cette durée représenterait une baisse de la durée du travail (et donc du salaire net) de 4 %. En ramenant l’actuelle CSG sur les revenus salariaux de 7,5 % à 3,5 % (tous les autres paramètres restant inchangés), aucun salarié ne perdrait de pouvoir d’achat.
En revanche, l’ensemble des employeurs auraient désormais un besoin de travail équivalent à 6 heures par salarié. Soit, pour 23 millions de salariés, un déficit annuel de 1,6 milliard d’heures de travail. Supposons que ce déficit soit compensé pour moitié par des embauches, l’autre moitié correspondant aux excédents actuels de main-d’œuvre et à l’obtention de gains de productivité, il serait alors nécessaire de procéder à 500 000 embauches en équivalent temps plein, et ceci dans toutes les qualifications. La mesure coûterait 30 milliards d’euros. Elle serait financée par deux taxes: la TVA et une taxe carbone.
Pour l’instant, la seule organisation soutenant cette approche (parmi d’autres possibilités) est le Collectif Roosevelt.
Une incitation financière au passage à la semaine de quatre jours (Pierre Larrouturou )
Pierre Larrouturou défend depuis longtemps l’idée de la semaine de quatre jours car celle-ci suscite une vraie réorganisation de l’entreprise et permet un net accroissement du temps libre. Il ajoute que le passage par une étape intermédiaire de généralisation des 35 heures serait démobilisateur car renvoyant toujours au même conflit autour du bilan des lois Aubry. S’appuyant sur l’expérience des 400 entreprises passées à la semaine de quatre jours dans le cadre de la loi de Robien, il propose que ce type de RTT puisse à nouveau être mis en œuvre de manière volontaire. Des négociations devront être menées, d’abord au niveau interprofessionnel pour définir le contenu de la loi (les aides et leurs contreparties en termes d’emploi), puis aux niveaux de la branche et de l’entreprise (pour déterminer la nouvelle organisation). La « semaine de quatre jours » pourra, selon les besoins des entreprises et les souhaits des salariés, prendre différentes formes : un jour non travaillé sur cinq, ou un week-end de quatre jours toutes les deux semaines, une semaine non travaillée sur cinq, etc.
Le principe serait une baisse de 10 % du temps de travail, un maintien des salaires, et 10 % d’embauches en CDI, comme contreparties d’une baisse de cotisations équivalente à 8 % du salaire brut (financée par l’Unedic et l’Etat). Il resterait alors 2% à trouver pour éviter une augmentation de la masse salariale, ce qui se ferait par les économies réalisées sur les nouveaux salariés coûtant moins chers car ils ne touchent pas de prime d’ancienneté (c’est ce qu’on appelle l’effet de noria inversé). Le coût brut de la mesure serait de 14 milliards d’euros, sans économies et recettes, pour 1,5 à 2 millions d’emplois créés.
La proposition est décrite en détail dans 2 livres récents :
Plusieurs organisations soutiennent cette approche :
Pour une aide à la RTT dans les entreprises volontaires (IGAS)
Si l’idée d’une incitation à la réduction du temps de travail s’inspirant de l’expérience de la loi de Robien est désormais rejetée à droite, elle continue d’être largement approuvée au sein de la gauche non-gouvernementale. Un rapport de l’IGAS a également recommandé d’explorer cette piste, mais sa diffusion a été interdite.
Il s’agit de proposer aux entreprises qui le souhaitent une démarche incitative de réduction collective de la durée du travail de 10% (sans modification des modalités de décompte) et d’augmentation de ses effectifs d’au moins 6%. Le rapport précise que « compte tenu de la volonté actuelle de privilégier le dialogue social au niveau de l’entreprise et de la grande diversité de situation des entreprises, le redéploiement d’un montant d’un milliard d’euros d’autres politiques d’emploi permettrait de faire bénéficier 350 000 salariés d’une aide incitative d’un montant actualisé équivalent à celui de l’aide qui avait été accordée dans le cadre de la loi de Robien. » Le rapport ajoute également que « pour éviter les comportements d’optimisation de la part des employeurs et éviter que dans les faits il n’y ait pas de réduction effective de la réduction de la durée du travail, la convention signée par les partenaires sociaux devra obligatoirement prévoir que les huit premières heures supplémentaires donnent lieu à un repos compensateur majoré de 25% ou à une majoration minimale de 25% du taux horaire ».
Pour l’instant, la seule organisation soutenant cette approche (parmi d’autres possibilités) est le Collectif Roosevelt.
Scénarios de réductions du temps de travail choisies et individualisées
Que des politiques de réduction collective du temps de travail soient ou non mises en œuvre, il serait souhaitable d’offrir aux salariés la possibilité de choisir, à différents moments de leur vie professionnelle, de travailler moins (voire de prendre un congé long) pour différents motifs : vie familiale, formation, responsabilités extra-professionnelles (politiques ou associatives), expériences diverses (congé sabbatique), transition emploi – retraite.
Le rapport Igas de mai 2016 retient cette idée : « Les politiques qui favorisent le temps partiel sont moins efficaces dans une logique de partage que la réduction collective du temps de travail mais, ciblées sur un temps partiel de qualité et sur certaines populations, elles peuvent également constituer un outil pertinent de lutte contre l’exclusion et la précarité ».
Un congé de soutien familial d’une durée de 3 ans (IGAS)
Outre une réduction généralisée du temps de travail et l’allongement du congé de paternité, la modification des conditions de prise du congé parental et d’indemnisation de celui-ci pourrait inciter au passage à temps réduit des deux parents. Le recours au congé parental à temps partiel devrait être possible non seulement quand les enfants sont petits, mais aussi jusqu’à leur majorité (le rôle des parents ne se réduit pas à la garde d’enfants en bas âge).
La naissance d’enfant(s) n’est pas le seul événement difficilement conciliable avec une activité professionnelle à temps plein. Il en est ainsi de l’accompagnement d’un parent malade, handicapé ou en fin de vie. Le rapport de l’Igas de mai 2016 propose de « créer un congé de soutien familial d’une durée de 3 ans, consistant en un temps partiel supérieur ou égal à 60% avec prise en charge d’une fraction de la perte de revenus ».
Le développement des congés familiaux à temps partiel, qui répond à une aspiration forte, pourrait générer un nombre important d’emplois (CDD de remplacement). Leur financement ne coûterait rien aux employeurs ; les allocations versées aux bénéficiaires du congé (compensation partielle de leur perte de revenu) seraient supportées par la collectivité mais en grande partie compensées par les économies réalisées sur les allocations versées aux chômeurs embauchés en remplacement.
Pour l’instant, la seule organisation soutenant cette approche (parmi d’autres possibilités) est le Collectif Roosevelt.
La formation tout au long de la vie ou job rotation (Bernard Gazier, IGAS)
Aujourd’hui, la formation bénéficie prioritairement aux mieux formés alors que ce sont les travailleurs les moins qualifiés qui en ont le plus besoin car ils sont les plus menacés par les mutations économiques et technologiques. Des évolutions importantes sont nécessaires pour accroître les droits à la formation des publics défavorisés, mais aussi leur permettre de mobiliser ces droits.
Puisqu’il sera de plus en plus rare d’effectuer le même métier durant toute sa carrière professionnelle, celle-ci devra nécessairement comporter des périodes de formation plus importantes, à temps plein ou à temps partiel.
Ces temps de formation peuvent être l’occasion d’embauches de remplacement, selon le modèle danois de « job rotation ». C’est l’une des propositions formulées par le rapport Igas censuré en mai 2016 : les salariés de PME en formation seraient remplacés sur leur poste par des chômeurs dont la rémunération serait partiellement financée par l’assurance chômage.
Au Danemark, à partir de 1993, le gouvernement a subventionné un système de rotation entre salariés et chômeurs. Les personnes en emploi ont eu la possibilité de prendre un congé rémunéré à 70 % de leur salaire pour s’occuper de leurs enfants, pour voyager, etc… Un congé indemnisé à 100 % a également été créé pour reprendre des études. Cette mesure a remporté un vif succès, mais le congé sabbatique proprement dit a été supprimé en 1999, seuls les congés parentaux et de formation ont été pérennisés.
Pour l’instant, la seule organisation soutenant cette approche (parmi d’autres possibilités) est le Collectif Roosevelt.
La transition entre le travail et la retraite (IGAS)
Depuis plusieurs années, le décalage des départs en retraite a augmenté le nombre de seniors en emploi. Ces derniers rencontrent plus fréquemment des difficultés liées à la pénibilité de leur poste et/ou à l’intensification du travail. Et le décalage de leur départ réduit les possibilités d’embauche…
S’il ne paraît pas souhaitable de renouer avec les départs massifs en préretraite, la réouverture de possibilités de passage volontaire à temps partiel au cours des années précédant le départ en retraite allégerait la charge de travail des salariés âgés tout en permettant des embauches et la mise à jour des compétences de la force de travail. Elle correspondrait tant à une aspiration des salariés qu’à l’intérêt des entreprises.
Pour l’instant, la seule organisation soutenant cette approche (parmi d’autres possibilités) est le Collectif Roosevelt.
Un congé sabbatique (MJS)
En poussant plus loin la logique d’utiliser les congés pour redistribuer le temps de travail, une autre forme de RTT pourrait être de créer un droit à six mois de congé sabbatique rémunéré tous les cinq ans, ou bien à un an tous les dix ans, soit l’équivalent d’une réduction de 10 % du temps de travail global. Utopique ? Pas tant que ça : des dispositifs de ce type ont été expérimentés en Finlande, en Suède, aux Pays-Bas et au Danemark.
En 2004, la Suède a crée un congé sabbatique indemnisé aux deux tiers du salaire, avec un plafond de 1 500 euros. Ouvert aux salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) depuis deux ans, il permettait de s’absenter pendant trois à douze mois de son entreprise, tout en étant remplacé par un chômeur, en priorité de longue durée. Ce dispositif a néanmoins été supprimé en 2006, avec l’arrivée de la droite au pouvoir.
Une expérimentation similaire a également vu le jour en Finlande en 1995, avec cette différence notable : elle a été généralisée et existe toujours. Il s’agit du « job alternation leave », qui permet à un salarié avec un an d’ancienneté de prendre un congé sabbatique de trois mois à un an avec l’assurance de retrouver ensuite son emploi. Pendant cette période, il touche une allocation s’élevant à 70 % de ce qu’il aurait touché s’il avait été au chômage. L’employeur, de son côté, s’engage à embaucher un chômeur pendant la durée du congé, mais pas forcément sur le même poste. 41 000 chômeurs étaient embauchés via ce dispositif fin 2013, soit 12 % de l’ensemble des demandeurs d’emploi.
A noter que d’autres pays encore ont mis en place des systèmes semblables, bien que moins avantageux : les Pays-Bas, entre 2006 et 2011, avaient un compte épargne-temps permettant aux salariés de mettre de côté une partie de leur salaire pour bénéficier d’un congé sabbatique, le « levensloopregeling » (régulation du cycle de vie).
En savoir plus
Un CETV : compte épargne-temps de vie (Ecolinks)
Pour le groupement de chercheurs Ecolinks, « il s’agit de penser une meilleure répartition du temps de travail […] au cours du cycle de vie puisque l’articulation entre temps de travail et autres temps sociaux ne se pose pas de la même manière aux différents âges. Une meilleure répartition du temps de travail passerait ainsi par une modulation du temps de travail adaptée aux besoins des individus tout au long de leur cycle de vie ». Ecolinks propose un nouveau droit, le compte-épargne temps de vie (CETV), grâce auquel chaque salarié pourrait accumuler des droits ou des dettes de temps. Les droits permettraient au salarié de réduire son temps de travail selon des modalités précisées par un accord de branche ou d’entreprise. La dette permettrait au travailleur de réduire son temps de travail sans avoir accumulé suffisamment de droits. Le salarié endetté serait redevable et devrait donc augmenter son temps de travail après une certaine période. L’État pourrait racheter des dettes ou accorder des droits, profitant ainsi d’un nouvel outil de politique sociale et familiale. En cas de rupture sur initiative de l’employeur, ce temps pourrait être définitivement acquis par le salarié licencié et être transférable d’un emploi à un autre. L’objectif est radicalement différent de l’actuel compte-épargne-temps (CET)
Pour l’instant, Ecolinks et le Collectif Roosevelt soutiennent cette approche, parmi d’autres possibilités.
Une démarche incitative de régulation de la durée de travail et de développement de l’emploi des cadres (IGAS)
Le temps de travail des cadres a tendance à devenir de plus en plus instable, intense, et ample. 40 % des cadres travaillent aujourd’hui plus de 49 heures par semaine.
On peut proposer aux entreprises qui le souhaitent une démarche incitative de régulation de la durée de travail et de développement de l’emploi des cadres. Le but est d’instaurer une logique de partage qui permette de créer des postes d’encadrement, et de fournir ainsi un emploi qualifié à l’ensemble des demandeurs d’emploi qualifiés, en particulier les jeunes diplômés.
Sur la base du volontariat des entreprises, cela nécessite tout d’abord un accord d’entreprise précisant des objectifs chiffrés en termes de création de postes de cadre, de plafonnement de la durée hebdomadaire maximale de travail des cadres au forfait (par exemple à 44 heures hebdomadaires),
Le financement serait assuré par le versement d’une aide forfaitaire, sur cinq ans, dégressive dans le temps pour chaque cadre présent dans l’entreprise, conditionnée par l’existence de l’accord.
Les possibilité de création d’emplois sont conséquentes car on peut émettre l’hypothèse que la France a quelque peu concentré l’emploi de ses cadres sur un nombre de postes de travail plus réduit que ce que son potentiel démographique et éducatif pourrait permettre.
Si les responsables ne se remplacent pas un pour un, cela n’empêche pas, par exemple, de créer des postes d’adjoint ou de rajouter un poste dans la hiérarchie intermédiaire. C’est une démarche qui peut épauler les équipes ou les managers en mode projet, et effectuer les intérims des managers intermédiaires absents. C’est également une mesure particulièrement adaptée aux grandes entreprises et aux PME à forte valeur ajoutée. Le partage du travail peut donc participer au développement de l’innovation et de la compétitivité hors coût de notre économie.
Pour l’instant, la seule organisation soutenant cette approche (parmi d’autres possibilités) est le Collectif Roosevelt.
Le Crédit temps en Belgique
Le crédit-temps est un système qui permet aux travailleuses et travailleurs d’interrompre totalement ou partiellement leur carrière, durant une période définie. Selon le type de crédit-temps choisi, vous pouvez interrompre votre carrière pour une période maximale de 36 ou 48 mois. En fin de carrière, un droit au crédit- temps à mi-temps ou cinquième-temps est aussi prévu (pour une durée illimitée). La travailleuse ou le travailleur qui active son droit aux différentes formes de crédit-temps bénéficie d’une allocation de l’ONEM durant la période d’interruption de la carrière.
Ce droit rencontre un succès grandissant. Alors que l’ONEM a versé 23.165 allocations de crédit-temps en 2002, il en a versées 143.387 en 2015. Le nombre d’allocations versées a donc été multiplié par plus de six en treize ans. Ajoutons qu’à l’heure actuelle, plus de 70.500 allocations sont versées aux bénéficiaires de l’interruption de carrière qui est l’équivalent pour le secteur public du crédit-temps. Une preuve que les Belges plébiscitent les droits leur permettant de ralentir.
Cependant, depuis quelques années, les différents gouvernements ont attaqué frontalement le droit au crédit- temps ; en durcissant les conditions d’accès, en réduisant leur assimilation pour le calcul de la pension et en réduisant les périodes d’interruption autorisées. Ainsi, depuis 2015, seuls les travailleurs ayant un motif dit « légitime » peuvent bénéficier d’une allocation de crédit-temps. En effet, ils doivent prouver qu’ils interrompent leur carrière pour s’occuper d’un enfant, octroyer des soins ou suivre une formation. Auparavant, un droit au crédit-temps sans motif existait pour une durée de 12 mois. La coalition de droite qui a accédé au pouvoir en octobre 2014 s’est empressée de supprimer l’allocation ONEM, ce qui amène, dans les faits, à le rendre inintéressant ou inaccessible pour la plupart. Aujourd’hui, seuls les travailleuses et travailleurs rencontrant un des motifs évoqués ont donc droit au crédit-temps avec allocations. Ce qui diminue indéniablement une des possibilités de réduire son temps de travail. Sans surprise, le nombre de demandes de crédit-temps est en chute libre depuis ce moment. Pour les premiers mois de l’année 2016, l’ONEM enregistrait 41% de demandes en moins qu’à la même période en 2015. Sur cette base, il prévoit que le nombre de personnes en crédit-temps chutera à 132.280 en 2016. Soit un nombre de bénéficiaires bien inférieur à celui enregistré en 2014, avant les changements législatifs.
Outre le droit au crédit-temps, les travailleuses et travailleurs peuvent aussi récupérer du temps pour eux en activant leur droit à un congé thématique. La législation prévoit qu’il faut rencontrer un des motifs suivants pour en bénéficier : s’occuper d’un enfant de moins de 12 ans, fournir une assistance médicale ou des soins palliatifs. Ce droit s’accompagne d’une allocation de l’ONEM, mais se distingue du crédit-temps. Parce que la durée de l’interruption est plus brève (1 à 4 mois selon le congé thématique concerné) et qu’une série de règles changent dans la mise en œuvre de ce droit. Néanmoins, la formule connaît tout autant de succès que le crédit-temps. En effet, l’ONEM a versé 7,5 fois plus d’allocations pour congé thématique en 2015 (74.126) qu’en 2000 (9.540). Même s’il l’a été dans une moindre mesure que le crédit-temps, ce droit a aussi été récemment attaqué par les gouvernements. En effet, ils ont réduit les possibilités d’assimiler la durée d’un congé thématique pour le calcul de la pension. Les périodes de congé thématique ont donc moins de valeur dans le calcul de la pension, ce qui rend ce droit moins attractif que par le passé.
La création d’une Banque de temps intégrée au Compte Personnel d’Activité (CFDT)
La CFDT ne demande pas de nouvelle étape de RTT, mais souhaite avancer sur la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Elle propose la création d’une Banque de temps, intégrée au Compte Personnel d’Activité, qui permettrait à chaque travailleur de gérer son temps de travail tout au long de sa carrière.
Chaque salarié travailleur ainsi y verser des jours de RTT ou de congé, à prendre ultérieurement, selon les besoins ou les envies. La mise en œuvre de cette mesure doit se faire par la négociation.
Par ailleurs, le rapport de l’IGAS propose de permettre aux titulaires du CPA de mobiliser leurs points pour financer des césures liées au volontariat ou au bénévolat.
Plusieurs organisations soutiennent cette approche :
- CFDT
- UNSA
- Terranova
- Collectif Roosevelt
Le temps libéré pour favoriser l’engagement dans la vie sociale
Tout ce qui touche à la qualité de vie, au respect des rythmes de vie familiaux et sociaux reste très difficilement pris en compte dans une négociation d’entreprise. Pourtant l’exercice de responsabilités politiques, syndicales ou associatives, au service de l’intérêt général mais également d’autres formes d’entraide de voisinage est indispensable à l’organisation de la société. La réduction temporaire du temps de travail est un moyen de renforcer notre démocratie, affaiblie, ainsi que les nécessaires solidarités. Quelques propositions faites en ce sens.
Un dispositif de monnaies temps pour stimuler l'activité citoyenne et la démocratie (Bruno Théret)
L’économiste Bruno Théret propose un dispositif de monnaie-temps pour que des salariés volontaires payent directement l’Etat en temps d’activité au lieu de travailler une partie de leur temps pour payer des impôts. Un dispositif de monnaie-temps publique adossé à un impôt-temps pourrait valo-riser le temps dépensé en activité citoyenne et impliquerait nécessairement une réduction du temps de travail dans la sphère marchande.
La puissance publique distribuerait aux citoyens actifs de façon uniforme une monnaie en contrepartie de leurs heures d’activité politique. La conversion de cette monnaie en déduction fiscale se ferait selon un « tarif » qui pourrait être de l’ordre du salaire horaire moyen dans la sphère marchande.
On peut aussi penser que les « riches » vont préférer payer leurs impôts en monnaie plutôt qu’en temps et vont ainsi être demandeurs de la monnaie-temps publique ; ils vont chercher, si possible, à la racheter aux pauvres au tarif fixé pour payer leur impôt-temps, entérinant ainsi l’effet redistributif du dispositif
Pour l’instant, la seule organisation soutenant cette approche (parmi d’autres possibilités) est le Collectif Roosevelt.
Un chèque temps choisi pour créer une activité d'utilité écologique ou sociale (François Plassard)
François Plassard propose de réactualiser une expérimentation de partage volontaire du travail qui a eu lieu en Rhône-Alpes de 1992 à 1996. Elle proposait un « chèque temps choisi » à tous les salariés voulant réduire leur temps de travail de 50 %, pour créer une activité d’utilité écologique ou sociale. Le volume d’heures ainsi libéré dans l’entreprise permet de créer des emplois selon le principe de la « job rotation ».
Pour l’instant, la seule organisation soutenant cette approche (parmi d’autres possibilités) est le Collectif Roosevelt.
Une RTT généralisée conduite simultanément à la mise en place d’un revenu de base
Si l’une des principales conditions d’une nouvelle réduction collective du temps de travail est de veiller à ce qu’il n’y ait pas de perte de revenu pour des bas salaires, le revenu de base inconditionnel peut offrir des perspectives nouvelles en ce sens. Le principe de départ pourrait être de considérer que chacun d’entre nous peut renoncer à une journée de travail si un revenu de base vient compenser ses ressources mensuelles pour le même montant. À partir de ce principe simple, beaucoup de possibilités existent. En fonction du montant du revenu de base proposé, il est même possible de revaloriser les bas salaires, surcompenser la perte de revenus liés à la RTT, si ce revenu de base est supérieur au revenu mensuel d’une journée de travail.
Une semaine de 28h avec un revenu de base de 600€ (Patrick Colin de Verdière)
Le groupe local Collectif Roosevelt de Grenoble travaille sur des scénarios couplant une forte RTT (semaine de 28h) avec un revenu de base d’un montant (600€/ mois par adulte actif) significativement supérieur au RSA et une réforme fiscale adaptée, inspirée des travaux de Thomas Piketty. Pour Patrick Colin de Verdière, cela peut contribuer à un retour du plein-emploi et à une lutte vigoureuse contre les inégalités, sans creuser le déficit de la protection sociale ni celui de l’Etat, voire en réduisant ces derniers.
Un saut direct à 28h peut se faire à revenu identique pour les salariés qui seraient actuellement aux 35h, malgré une baisse de 20% (une journée de plus de libre par semaine) de leur temps de travail. Pour toute entreprise qui, comme le commerce de détail, a actuellement un fonctionnement optimisé à 35h en 5 jours, ça permet donc d’envisager de passer en 4j de 7h sans modifier l’organisation générale. Pour des salariés mieux rémunérés il faudra choisir en une baisse de revenu modérée au regard du temps libéré, ou un nouveau fonctionnement à 32h à revenu identique.
Un revenu universel de 600€ (Benoit Hamon)
Benoit Hamon propose de mettre en place un RUE de base de 600€ mensuel accordé à tous citoyens majeurs et sans ressource, dont les étudiants. Ce RUE remplacera le RSA et la Prime d’activité.
Pour les personnes qui disposent de revenu d’activité et de certaines prestations sociales le RUE est cumulable avec ces revenus et sera modulé au moyen de la formule suivante : RUE = 600 – revenus x 27,4 %
On constate donc que ce RUE est un vrai outil de soutien au pouvoir d’achat des personnes les plus modestes. Il permet une revalorisation de revenu de plus de 25% pour un salarié au SMIC, sans modification du coût pour l’employeur.
Pour une personne actuellement au RSA l’évolution semble faible (535€ à 600€). Le gain pour eux se trouve dans la simplification administrative, dans le cumul possible avec les revenus d’activités qui permet de limiter l’effet trappe à chômage mais aussi est surtout dans la stricte individualisation. Un couple de 2 personnes au RSA touchera bien 2 RUE contre un RSA couple faiblement majoré actuellement.
Ce RUE n’est compatible qu’avec une réforme de l’impôt sur le revenu qui adopte le prélèvement à la source puisqu’il nécessite que l’administration fiscale qui versera le RUE connaisse en « temps réel » les revenus d’activité et les prestations sociales reçus par chacun des citoyens. Par rapport à un vrai revenu universel individuel et inconditionnel il est donc bien plus complexe à gérer, mais il a l’avantage de mobiliser moins de moyens financiers. Son application à l’ensemble des salariés qui gagnent moins de 1,9 smic mensuel est estimée à 35Mds€ environ. C’est donc aussi un outil incitatif à la réduction volontaire du temps de travail.
Pour l’instant, cette approche est soutenue par Benoit Hamon et est en débat dans plusieurs organisations :
- Parti Socialiste
- Collectif Roosevelt
Réduire temporairement le temps de travail pour ne pas licencier
Lorsqu’une entreprise connaît une période de sous-activité, elle peut éviter de licencier en réduisant temporairement la durée du travail de ses salariés. C’est le dispositif ancien (1951) du « chômage partiel », que l’on appelle désormais « activité partielle ». La perte de rémunération des salariés est partiellement compensée par l’employeur et l’État.
Au moment de la crise de 2008, la France a moins recouru à ce système que son voisin allemand : en 2009, la France, dont le PIB reculait de 2,7 % a mis 300 000 salariés en activité partielle ; l’Allemagne, face à – 5,1 % de PIB, plaçait 1,5 million de personnes en « kurzarbeit ».
Deux raisons à cela. D’une part, les entreprises françaises ont recourus massivement à l’intérim avant d’envisager d’autres mesures, alors que les entreprises allemandes, utilisant moins l’emploi temporaire et souhaitant conserver les compétences de leurs permanents, ont rapidement opté pour la réduction du temps de travail. D’autre part, le régime français d’activité partielle était, pour les entreprises, plus contraignant et moins généreux que le « kurzarbeit » allemand.
La modernisation du dispositif français d’activité partielle, bien que tardive, a été un succès. Son utilisation reste toutefois limitée par la préférence de nombre d’entreprises pour la flexibilité externe (emploi précaire). Elle ne peut pas, non plus, constituer une réponse à une sous-activité durable.
Un simulateur est aujourd’hui disponible comme outil d’aide à la décision. Il destiné à permettre aux entreprises de connaître immédiatement les montants estimatifs d’indemnisation qu’elles peuvent escompter en cas de recours à l’activité partielle dont une estimation du montant qui reste à leur charge.
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