Pourquoi ? 100 raisons !
I) Nous désirons travailler moins pour aller vers une société du bien vivre ensemble
Partager le travail peut permettre à tous-tes de travailler
1/ Les chômeurs ne peuvent pas trouver du travail quand ils le souhaitent
Près des deux tiers des Français seraient convaincus que « si l’on veut travailler, on trouve »
Pourtant, avec presque 3 millions de chômeurs pour en face un volant permanent et incompressible estimé à 500 000 offres d’emplois disponibles, cela donne qu’à un instant « t », plus de 80% des chômeurs ne peuvent pas trouver de travail.
Si l’on ajoute toutes les personnes en sous emplois (temps partiel subis) et dans le halo du chômage (chômeurs découragés ou en fin de droit), le minimum c’est de reconnaître que notre société est incapable de fournir un emploi décent à 6 000 000 de personnes, soit presque 20% de la population active.
Les chômeurs ne sont pas responsables de la situation et les accuser de ne pas chercher à retrouver un emploi est une ineptie. La question fondamentale est celle de l’accroissement du nombre d’offres d’emploi décent.
Halte aux idées reçues :
- 600 000 emplois vacants : les chômeurs veulent-ils vraiment travailler ?
- Renforcer le contrôle des chômeurs peut faire baisser le chômage
2/ La moitié des français travaillent trop longtemps alors qu'il y a des millions de chômeurs
Certains accusent les salariés français de travailler « trop peu » car nous pourrions soi-disant être plus compétitifs en travaillons plus et ainsi faire baisser le chômage.
Ce discours ne tient pas compte de la réalité. Nous travaillons toujours plus sans que cela n’ait d’effet positif sur l’emploi. D’après la DARES les salariés à temps plein travaillent en moyenne 39,5h par semaine en France (2013). Entre 2003 et 2011, la durée moyenne hebdomadaire a augmenté pour toutes les catégories socioprofessionnelles : ouvriers (+2,3%), employés (+2,2%), profession intermédiaire (+4,3%), cadres (+5,8%).
Il n’y a en effet pas d’obligation pour les entreprises d’être réellement à 35h puisque la durée légale est le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Cela coute plus cher d’être au-dessus de la durée légale mais la durée du travail n’est pas rigide.
Concrètement, la moitié des salariés déclare travailler plus de 35 heures par semaine et un quart plus de 39 h. D’après l’enquête Conditions de travail 2013, c’est le cas pour 80 % des cadres, 56 % des professions intermédiaires, 37 % des employés, 50 % des ouvriers.
Pourquoi ceux qui ont déjà un emploi devraient travailler plus alors que des millions de personnes s’épuisent à essayer de trouver du travail ?
Les inégalités devant le temps de travail persistent et se creusent : les chômeurs subissent une réduction intégrale de leur temps de travail, les temps partiels subis ne travaillent que 23 heures alors que les salariés à temps complet sont eux à 39 heures et que les cadres dépassent les 43 heures hebdomadaires.
Le volume de travail disponible est en permanence partagé par « la loi du marché » (du travail). Pourquoi refuser de partager autrement l’emploi disponible pour produire plus d’égalité entre travailleurs avec et sans emploi ?
Sur le plan purement arithmétique, nous pourrions libérer l’équivalent de 2,7 millions d’emplois en ramenant la durée moyenne hebdomadaire du travail de 39,5 h (durée moyenne actuelle) à 35 h.
Mieux partager le travail produirait également plus de solidarité entre travailleurs à temps plein et travailleurs à temps partiel. Dès lors que le temps de travail des temps pleins diminue, les travailleuses et les travailleurs à temps partiel se rapprochent des droits pleins et entiers, que ce soit en termes de salaire ou de droits en Sécurité sociale (retraite, allocations…).
C’est alors toute la société qui profite de ce temps libéré et des liens qu’il permet de tisser, pour une meilleure cohésion sociale.
3/ Les salariés pourraient travailler moins pour gagner autant
Le partage de la valeur ajoutée vers les travailleurs, en contrepartie du travail fourni, peut se faire de deux manières :
- travailler autant et recevoir plus de revenu disponible,
- garder le même revenu disponible mais diminuer le temps de travail.
S’il est même possible de faire les deux à la fois, l’arbitrage que font les salariés entre demande de salaire et demande de temps libéré a ces dernières années été déséquilibré. Tout d’abord du fait d’un contexte de compression des salaires et de déséquilibre des négociations sociales, mais surtout du fait du chômage de masse.
Si les chômeurs sont les premiers bénéficiaires d’une politique de redistribution du travail, la question des salaires est donc essentielle du côté des salariés. Il existe d’ailleurs un certain mécontentement des salariés à l’égard de la réduction du temps de travail dû au blocage des salaires dans le cadre des accords Aubry. Mais ce n’est pas inévitable.
Le maintien de la rémunération pour les bas et moyens salaires est un condition première d’une nouvelle réduction du temps de travail. N’oublions pas que l’émancipation des salariés prend tout aussi bien la forme du confort matériel, par l’augmentation des revenus, que la forme du confort de vie, par l’augmentation du temps libéré de la contrainte du travail. Enfin, l’amélioration de la qualité de vie des salariés ne passe pas que par la baisse de la durée légale du travail, mais aussi par l’abaissement de l’âge de la retraite.
Halte aux idées reçues
4/ Le partage actuel du travail pénalise les plus précaires
La pauvreté est une situation difficile à vivre qui ne se limite pas à la faiblesse des revenus disponibles, c’est aussi cumuler les insécurités : celle de l’emploi et du logement, la possibilité de se nourrir convenablement, d’assurer ses obligations familiales, de se chauffer correctement…
Pourtant la « pauvrophobie » s’installe sous diverses formes : de la culpabilisation des chômeurs qui se complairaient dans l’assistanat sur le dos de ceux qui travaillent, aux arrêtés anti-mendicité édictés par plusieurs villes, jusqu’aux incendies volontaires qui visent des centres d’hébergement.
Les habitants des quartiers les plus pauvres sont beaucoup plus touchés par le chômage et l’emploi précaire, subissant des discriminations de toutes sortes : absence d’expérience, origine, nom de famille et même l’adresse. On enregistre parfois chez les jeunes de ces quartiers des taux de chômage insupportables dépassant les 50 %.
A qualification égale, un français perçu comme étant « d’origine immigré », postulant pour un emploi, a cinq fois moins de chances qu’un autre d’obtenir un entretien. Une personne qui fait apparaître sur son CV un emploi en insertion ou un foyer d’hébergement comme domicile a également moins de chance de décrocher un rendez-vous.
Par ailleurs, les offres d’emploi ne sont pas toujours adaptées aux difficultés rencontrées par les chômeurs en situation de précarité. Entre 2007 et 2011, un demi million de personnes ont renoncé à un poste en raison de problèmes de logement et du surcoût de la mobilité exigée. Certaines offres d’emploi se permettent même d’être farfelues : par exemple une heure de ménage par semaine, en pleine campagne, le dimanche.
Nous pouvons continuer cette répartition sauvage du travail ou organiser une répartition du temps de travail. L’objectif est que tous les Français qui le souhaitent puissent accéder à un emploi leur permettant de vivre dignement.
5/ Les jeunes doivent pouvoir accéder à des emplois dignes
Le taux de chômage des jeunes multiplié par 3,5 depuis ces quarante dernières années
En 2015, 53,3 % des jeunes âgés de 15 à 29 ans sont sur le marché du travail en France : 43,2 % occupent un emploi et 10,1 % sont au chômage, soit un taux de chômage de 18,9 %.
L’emploi précaire sous toutes ses formes est pour eux devenue la règle. Il leur faut le plus souvent, attendre l’âge de 27 ou 28 ans, quand ce n’est pas plus tard, pour prétendre à un emploi stable.
De plus, 2 millions de jeunes de 16 à 29 ans ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEETs). Leur quotidien matériel tient en un mot : « galère ». Ce qui les réunit aussi, c’est un sentiment d’invisibilité, d’inaudibilité, voire de nullité. Le sentiment de ne pas avoir leur place dans une société qu’ils jugent violente, hypocrite, complaisante pour les puissants et implacable pour les faibles. Or la confiance peut se restaurer dans une relation de reconnaissance réciproque, à commencer par la possibilité d’être écouté et de pouvoir accéder à un travail digne et choisi.
Continuer à réduire le temps de travail, ou du moins la norme de travail à temps complet permet de lutter efficacement contre le chômage et donc de favoriser l’emploi des jeunes . Cela permettra également aux jeunes de mieux négocier leur salaire et de se permettre de refuser des emplois indignes.
6/ Le partage du travail peut renforcer la solidarité entre les générations
A l’heure actuelle, d’un côté, les jeunes aspirent généralement à décrocher un job et à se forger une première expérience professionnelle, tandis que de l’autre, des travailleuses et travailleurs âgés aspirent à alléger leur charge de travail. Or, les premiers peinent à trouver du travail et les seconds à moduler leur fin de carrière dans des conditions avantageuses.
Depuis une vingtaine d’années, notre système de retraite a connu de nombreuses réformes, avec pour objectif affiché la « survie » du système de retraite par répartition. L’argument démographique, a priori simple, a toujours été avancé : si la durée de la vie s’allonge, alors il faut travailler plus longtemps.
En allongeant la durée de cotisation et l’âge légal de départ en retraite, on maintient pourtant des salarié-e-s souvent usé-e-s par le travail en activité alors que ces emplois pourraient être occupés par des jeunes. L’emploi des seniors s’en trouve aussi pénalisé. 6 salarié-e-s sur 10 sont sans activité professionnelle lorsqu’ils et elles arrivent à l’âge du départ en retraite.
De plus, si nous continuons à augmenter la durée de cotisation, les jeunes générations, non seulement partiront tard en retraite mais auront également des retraites faibles, compte tenu du faible nombre de trimestres validés. Tout recul de l’âge de la retraite provoque une nouvelle flambée de chômage. Le recul d’une seule année c’est sans doute autour de 300 000 emplois gelés pour les jeunes.
Au fil des changements démographiques, on peut s’attendre en outre à des goulots d’étranglement dans le recrutement des jeunes en entreprise et à une augmentation de l’âge moyen des effectifs. Pour que les salariés plus âgés puissent avoir un travail adapté et transmettre leur savoir aux jeunes générations et pour que la main d’œuvre jeune et diplômée ait une chance d’être embauchée, il faut des durées de travail adaptées à chaque génération qui permettent d’établir des « passerelles d’activités ».
La réduction du temps de travail doit également être vue sous l’angle de la durée de carrière requise pour une retraite complète et une espérance de meilleures conditions de vie à la retraite. Favoriser l’insertion durable dans le monde du travail des personnes qui en sont éloignées, c’est le meilleur moyen de contribuer à la pérennité de notre système de retraite par répartition.
Au final, la tension que fait peser le vieillissement sur nos régimes de retraite n’est pas simplement de l’ordre d’une contrainte qui viendrait questionner les différents paramètres de taux, de durée et de montant des primes. C’est un phénomène multiforme, qui oblige à poser aussi la question du partage du travail – ou, si l’on préfère éviter l’image d’un partage statique – du rôle spécifique au travail des différentes générations.
Oser prendre le temps, pour soi et pour les autres
7/ Pour vivre plus et maîtriser son rythme de vie
La réflexion sur la répartition du temps de travail doit également être considérée plus largement sous l’angle du cycle de vie et des « temps sociaux ». La répartition de ces « temps » varie beaucoup selon l’âge et les parcours de vie. C’est-à-dire le temps de loisir, temps d’étude, le temps libre, le temps domestique, le temps de transport et bien sûr le temps physiologique (dormir, manger, se laver et se préparer).
Il faut revenir à cette idée que le travail ne peut pas être ce qui mobilise l’essentiel de la vie s’il n’apporte pas un revenu digne et une satisfaction personnelle. Le sens du travail doit être remis en question pour conjuguer émancipation individuelle et collective.
Ce qui est clair, c’est qu’une part importante des Français affirment manquer de temps de vie hors du travail. A leur demande légitime de ralentir, les gouvernements successifs ont répondu par un détricotage des droits leur permettant de maîtriser leur temps.
Comment seraient nos journées avec plus de temps libre et un travail mieux réparti ? Quelles relations aurions-nous avec notre famille, nos amis ou nos voisins et quels hobbys pourrions-nous réaliser ?
8/ Pour apprendre plus tout au long de la vie
La réduction du temps de travail c’est du temps pour apprendre : le temps libéré a permis, permet et permettra de développer ses potentialités.
Du temps pour permettre à toute personne, à tout âge, d’acquérir de nouvelles compétences pour s’adapter à un monde en perpétuelle évolution. Autrement dit, c’est du temps pour se former tout au long de sa vie et monter en compétence.
Ce peut être aussi l’occasion de développer dans des entreprises des formes de tutorat, de transmission des savoirs entre anciens et nouveaux, ou entre nouveaux et anciens, tant pour transmettre le savoir développé dans l’entreprise que pour transmettre des compétences nouvelles, par exemple dans les technologies de l’information. La réorganisation du travail qu’implique la réduction du temps de travail est également l’occasion de développer ces échanges et ces polyvalences.
9/ Pour travailler plus en dehors du travail
Comment peut-on encore qualifier une personne d’inactive parce qu’elle n’est pas présente sur le marché de l’emploi, alors même qu’elle peut être très investie dans l’éducation de ses enfants, des actions citoyennes, de la solidarité de proximité… ?
La réduction du temps de travail permet de redécouvrir ces autres formes d’activités, non rémunérées en argent mais porteuses de sens pour soi et la société. Cela permet de développer cette sphère du travail autonome, où l’on crée des choses, travaille, rend des services de manière autonome, conviviale. Pour le dire en d’autres termes, on ne produit pas de la valeur d’échange, qui pourrait se vendre, mais de la valeur d’usage, qui crée du sens, du bien-être, de la qualité.
A noter que les activités associatives ne sont toujours pas considérées comme du temps de travail bien que l’ampleur de la création de richesses qui y est associée soit maintenant bien démontrée (Gadrey et Jany-Catrice, 2012)
La réduction du temps de travail est donc compatible avec le souhait de pouvoir réduire ou suspendre temporairement son activité professionnelle pour mener un projet personnel ou collectif. Cette aspiration ne trouve aujourd’hui de réponse que si elle rencontre la compréhension de l’employeur mais aussi de la société salariale dans son ensemble.
On peut souhaiter qu’à terme, l’activité professionnelle ne sera plus le principal moteur d’intégration, mais complètera une démarche polyvalente dans la construction de son identité.
La retraite ne sera alors plus uniquement vécue comme l’achèvement d’une carrière mais comme le prolongement de nos activités développées en dehors du travail.
10/ Pour réduire l’impact des naissances sur la vie des mères et répondre au souhait grandissant des pères de jouer pleinement leur rôle
L’impact négatif que la maternité peut avoir sur les femmes est souvent relativisé. Le partage actuel du travail précarise les femmes par la parentalité, ce à tout âge et dans tout milieu. Non seulement le fait de devenir mère peut bloquer leur ascension professionnelle, mais cela peut induire insidieusement une diminution de leurs ressources financières. La réinsertion professionnelle des mères est par exemple difficile après un congé parental pouvant aller jusqu’à plusieurs années consécutives, et les écarts de rémunération se creusent à mesure de la naissance des enfants.
Dans une perspective de progrès pour toutes et tous, baisser le temps de travail hebdomadaire, annuel et sur la vie entière, c’est permettre à toutes et tous de travailler à temps plein tout en assumant sa parentalité́. Au 21ème siècle, il est normal qu’un homme, quelle que soit sa position dans la hiérarchie de l’entreprise, puisse baisser son temps de travail quand il a un enfant.
De plus, les familles où les deux parents travaillent à temps plein, sur-mobilisés par des horaires très lourds, confient le plus souvent la garde des enfants à des travailleurs à temps partiel, généralement des femmes peu qualifiées.
Outre une réduction généralisée du temps de travail et l’allongement du congé de paternité, la modification des conditions de prise du congé parental et d’indemnisation de celui-ci pourrait inciter au passage à temps réduit et choisi des deux parents, quand les enfants sont petits, mais aussi jusqu’à leur majorité.
Sans compter, que la naissance d’enfants n’est pas le seul événement difficilement conciliable avec une activité professionnelle à temps plein. Il en est ainsi de l’accompagnement d’un parent malade, handicapé ou en fin de vie.
11/ Pour permettre aux hommes d’assurer plus de tâches domestiques
La majeure partie des activités domestiques continue d’être assurée par les femmes. Comme le rappelle l’Insee dans son rapport 2017, parmi les ménages avec au moins un enfant, « les femmes passent en moyenne 1 heure 34 minutes quotidiennement à s’occuper des enfants (contre 43 minutes pour les hommes) et consacrent 3 heures 13 minutes aux tâches ménagères (contre 1 heure 12 minutes pour les hommes) ». Lorsqu’elles exercent un emploi à temps plein, les mères consacrent deux heures de plus que les pères chaque jour aux activités domestiques et parentales.
Penser au fait qu’il faut ajouter les cotons-tiges à la liste de courses, que c’est le dernier délai pour commander le panier de légumes de la semaine et qu’on est en retard pour les étrennes du gardien. La charge mentale repose en quasi-totalité sur les femmes. Être responsable en titre du travail domestique ajoute un travail invisible aux femmes puisque que planifier et organiser les choses, c’est aussi du travail.
Par ailleurs, l’inégal partage des tâches varie fortement entre catégories sociales : les femmes consacrent 3,3 fois plus de temps à ces tâches domestiques chez les ménages d’agriculteurs, de commerçants et de chefs d’entreprise, 2,5 fois chez les ménages ouvriers et 1,9 fois chez les cadres supérieurs. Une partie des cadres réduit en effet le déséquilibre en employant du personnel à domicile, généralement des femmes peu qualifiées, qui elles-mêmes auront probablement des difficultés à articuler leurs temps de vie.
Le bon temps de travail c’est aussi celui qui permet aux hommes et aux femmes d’assurer la prise en charge à parts égales des activités domestiques. Les lois de réduction du temps de travail avaient engagé un mouvement de rééquilibrage des tâches et des temps, celui-ci a malheureusement été stoppé.
Travailler moins, l’un des piliers du progrès social
12/ Pour avancer dans l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes
Même si la France est l’un des pays d’Europe où les inégalités professionnelles sont les moins importantes, l’écart de rémunération entre hommes et femmes reste élevé.
En 2012, la rémunération annuelle nette d’un poste occupé par une femme était inférieure de 25,7 % à celle d’un poste occupé par un homme selon l’INSEE (pour les salariés du secteur privé non agricole et des entreprises publiques).
L’écart est marqué dès l’entrée dans la vie, parce que les femmes ont choisi des métiers moins rémunérateurs et parce qu’elles subissent une discrimination à l’embauche, liée notamment à la crainte des employeurs des conséquences de futures maternités. Il en résulte, dès lors, un déséquilibre entre les investissements respectifs dans les responsabilités professionnelles et familiales.
Mais surtout les femmes sont les premières victimes d’une diminution individuelle du temps de travail avec perte de salaire. 30% des femmes travaillent à temps partiel contre 7 % pour des hommes.
Les temps partiels sont aujourd’hui le 1er facteur d’inégalité salariale entre les femmes et les hommes. Pourtant, les emplois à temps partiels bénéficient à plein des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires.
Les emplois à temps partiels sont donc subventionnés par les pouvoirs publics.
Les femmes sont de plus en plus à concevoir leur emploi à part entière et non comme un supplément à l’activité professionnelle de leur conjoint, rapprocher le temps partiel et le temps plein c’est donc se donner les moyens d’aller vers une réelle égalité professionnelle.
13/ A côté d’une diminution du temps de travail, l’émancipation des femmes exige un véritable élargissement des services et des soins publics.
Si beaucoup de femmes recommencent à travailler à temps partiel, c’est également faute de de services publics abordables et accessibles comme l’accueil des enfants, les écoles de quartier, l’accueil (à domicile ou pas) pour les malades et les personnes âgées, l’aide à la jeunesse,… et à l’absence de solutions pour des trajets domicile/travail qui prennent de plus en plus de temps. C’est surtout le cas pour les mères mais, de plus en plus, il y a le soin aux personnes âgées. Les listes d’attente dans le secteur des soins forcent beaucoup de femmes à faire un pas en arrière vis-à-vis de leur travail salarié.
Si l’on veut permettre à chacun de retrouver un temps choisi et d’avoir un débat serein sur le partage du travail , il faut des services collectifs bien plus développés qu’ils ne le sont actuellement.
14/ Pour dynamiser la démocratie
L’actuelle distribution sociale du temps est un obstacle majeur à la démocratisation des sociétés contemporaines. L’égalité des chances d’accès aux fonctions politiques et aux services publics dépendant largement de la disponibilité en temps des citoyens.
La première chose qu’on abandonne par défaut de temps, c’est l’engagement, qu’il soit militant, culturel, bénévole, sportif… Une étude commandée en 2014 par le gouvernement sur le bénévolat montre que 43 % des actifs ayant autrefois pratiqué le bénévolat seraient prêts à s’engager, à condition qu’on leur dégage du temps libre.
Il est nécessaire d’imaginer pour les bénévoles des formes d’engagement qui ne soient pas en concurrence directe avec le sommeil mais qui remplacent plutôt des périodes qui étaient travaillées.
On pourrait donc assigner au partage du temps de travail une finalité politique propre, à savoir le développement de la démocratie participative. Il n’a pas de démocratie accomplie sans la disponibilité des citoyens qui doivent l’exercer.
Sans temps libre, impossible de s’investir politiquement. Nous ne pouvons pas que déléguer le politique à des politiciens professionnels. Alors, si nous voulons des citoyens impliqués et responsables, il est indispensable de libérer du temps sur le travail.
15/ Pour mieux partager la culture et vivre ensemble
Au même titre que le besoin vital de se nourrir, de se soigner, de se loger ou de s’habiller, chaque être humain a besoin de se sentir connecté aux autres, d’approfondir la connaissance du monde qui l’entoure ou de s’abreuver aux oeuvres d’art et de l’esprit pour enrichir sa propre sensibilité et sa manière personnelle de s’exprimer.
Depuis 1946, “l’égal accès de tous à la culture, tout au long de la vie“ a valeur constitutionnelle.
C’est pourquoi les trente-cinq heures, même si elles ont d’abord été pensées en termes de partage du travail, ont eu un effet de révélation et d’accélération de mutations déjà en cours qui sont inséparables du rôle croissant des pratiques de temps libre.
16/ Pour accueillir dignement les étrangers
Avec le chômage, une partie de la population des pays développés se montre hostile à l’immigration, craignant que celle-ci dégrade davantage encore le marché du travail. La récente crise des réfugiés illustre la pression exercée par l’extrême droite européenne, poussant les gouvernements à abandonner les valeurs humanistes. Ceux-ci ont tout fait – quel qu’en soit le coût humain (des milliers de morts en Méditerranée) – pour éviter d’accueillir (comme le prévoit pourtant la Convention de Genève) plus d’un million de personnes en détresse (l’équivalent de moins 1% de la population européenne).
Les études montrent pourtant que l’effet de l’immigration en France est positif sur l’économie (+4 milliards d’euros par an selon une étude l’Université de Lille) ou pèse faiblement (-10 milliards d’euros selon l’OCDE). L’affirmation que l’immigration serait la cause du chômage en prenant le travail des natifs est fausse. L’OCDE n’a pu mettre en lumière aucun lien entre les taux de chômage et le poids des immigrés dans la population active.
Au contraire, les immigrés restent globalement mal lotis sur le marché du travail quand ils ne sont pas directement victimes de discriminations. A niveau de qualification égal, les immigrés ont des salaires inférieurs de 2 % à 3 % à ceux des natifs. Leurs conditions de travail sont plus difficiles : ils travaillent plus souvent le week-end et à des horaires tardifs.
Tout cela incite les immigrés à accepter des emplois de moins bonne qualité, notamment ceux que délaissent les natifs, ce qui peut pousser les entreprises à dégrader les conditions de travail pour l’ensemble des salariés. Mais si les conditions d’accès des immigrés aux minima sociaux et à l’emploi étaient davantage restreintes encore, comme l’appellent certains de leurs voeux, cela ne pourrait en fait que dégrader davantage encore la situation des natifs.
Créer des emplois par réduction du temps de temps de travail peut participer non seulement à donner du travail plus facilement à tous mais aussi à combattre l’idée fausse que plus d’étrangers se serait moins de travail pour les natifs.
Halte aux idées reçues
- Les étrangers nous volent nos emplois
17/ Pour rendre le travail durable, décent, et sauver la planète
En 1987, le rapport Brundtland listait le travail parmi les l’idée motrice du développement durable. En 1999, l’Organisation Internationale du Travail a défini la notion de « travail décent » : le respect des normes fondamentales du travail, l’accès à la protection sociale, le dialogue social et l’accès à un emploi décent (le droit au travail). Cette notion de travail décent sera reprise en 2007 au sein de l’ONU. Mais ces normes sociales sont loin d’être respectées et encore moins intégrées dans les principaux modèles économiques ou écologiques.
La réduction du temps de travail est un outil puissant au service d’un travail décent et d’un développement durable. Réduire les heures de travail, pourrait freiner notre consommation d’énergie assure la sociologiste américaine Juliet Schor. Moins de contraintes de temps pourraient, par exemple, encourager le vélo ou les transports en commun au lieu de la voiture. Un scénario des économistes suédois Jonas Nässen et Jörgen Larsson sur les effets à long terme d’une réduction du temps de travail en Suède va dans le sens de cette hypothèse.
C’est également la conclusion d’une étude en 2012 de l’institut syndical européen (European Trade Union Institute, ETUI) : la seule politique de l’emploi qui permet de respecter les objectifs d’émissions tout en maintenant l’emploi actuel est la réduction du temps de travail. Plus largement, une étude du Centre pour la recherche économique et politique de Washington, a suggéré qu’une réduction moyenne des heures annuelles de seulement 0,5 % par an dans le monde entier serait parfaitement susceptibles d’atténuer au moins un quart, d’ici 2100, de tout réchauffement qui n’a pas été déjà enclenché.
Il est possible de créer de l’emploi en répondant aux besoins de flexibilité des entreprises sans précariser les salariés
18/ Stimuler un cercle vertueux entre l’Etat, les entreprises, les travailleurs et les chômeurs
La principale question qui se pose pour l’Etat sur la réduction du temps de travail est celle du financement. Rappelons que le coût net des 35h a été inférieur à celui de la plupart des aides à l’emploi. La question du financement d’une nouvelle mesure généralisée de réduction de la durée du travail peut donc être examinée sur des bases similaires. Des politiques volontaristes de justice fiscale et de lutte contre les fraudes peuvent en outre atténuer le coût résiduel.
La question se pose un peu différemment lorsqu’il s’agit de réductions individuelles et choisies (congé parental, congé formation, congé sabbatique, préretraite progressive,…) pour lesquelles les indemnités versées aux salariés peuvent ne couvrir que partiellement la perte de rémunération.
Pour les employeurs, le coût des embauches doit être, le plus possible, compensé par les aides publiques, l’éventuelle contribution des salariés et les gains de productivité. L’estimation effectuée par le Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sur le financement des accords Aubry I devrait être reconduite aujourd’hui pour démontrer la faisabilité macro-économique.
Rappelons, que l’estimation macro-économique de l’OFCE, ex-post, conclut à une compétitivité coût de l’économie française qui s’est améliorée entre 1997 et 2002.
Par ailleurs, l’engagement volontaire de l’employeur dans une réduction de la durée collective du travail est le moyen de faire adhérer les salariés à un projet d’entreprise qui, par une organisation du travail plus « flexible », l’élargissement des horaires d’ouverture au public ou l’allongement de la durée d’utilisation des équipements, le développement de nouvelles activités et l’acquisition de nouvelles compétences (par la formation ou l’embauche), permet de gagner en compétitivité.
Enfin, le partage du travail rend possible un cercle vertueux entre une baisse du chômage, une augmentation du pouvoir d’achat des salariés, une augmentation des carnets de commande pour les entreprises et des recettes supplémentaires pour l’Etat.
19/ Les heures supplémentaires augmentent le pouvoir d’achat de certains salariés mais détruisent des emplois
Si, les employeurs peuvent préférer, dans une période de forte incertitude et de faible visibilité, limiter les embauches et s’appuyer davantage sur les heures supplémentaires, ils doivent se rappeler que l’effet de substitution entre heures supplémentaires et emploi est indéniable.
Prônant de « travailler plus pour gagner plus », Nicolas Sarkozy a, dès 2007, subventionné les heures supplémentaires (réduction de cotisations et exonération d’impôt). Cette politique néfaste à l’emploi a coûté 4,5 milliards d’euros par an (nettement plus que les 35 heures !), sans réduire le chômage.
La loi du 20 août 2008 et la loi El Khomri du 21 juillet 2016 ont favorisé une moindre rémunération des heures supplémentaires. Ces dispositions devront être abrogées. A l’opposé, il conviendrait de limiter et de renchérir les heures supplémentaires. Augmenter le pouvoir d’achat des salariés peut tout à fait se faire par d’autres manières.
Il faudrait également restreindre le recours à l’annualisation à son objet initial : l’adaptation aux fluctuations saisonnières d’activité, dont la prévisibilité permet seule une programmation annuelle du temps de travail. Les fluctuations conjoncturelles d’activité, imprévisibles, doivent au contraire faire l’objet d’heures supplémentaires dont le paiement majoré pourrait être remplacé par un repos compensateur majoré.
Mais surtout, il faudrait un meilleur partage du travail.
20/ Pour une logique gagnant-gagnant grâce à la flexibilité interne
Pour accompagner les variations de la demande, l’entreprise peut :
- recourir à la flexibilité interne : faire varier la durée de travail de ses salariés, et recourir ainsi aux diverses formules d’aménagement prévue par le code du travail
- recourir à la flexibilité externe : solliciter ponctuellement un apport externe, sous forme de contrats courts (principalement CDD et intérim) ou de prestations externalisées.
La préférence des entreprises françaises pour la flexibilité externe est à bousculer car il y a une logique gagnant-gagnant dans la flexibilité interne si celle-ci est correctement mise en œuvre. Il est également possible de créer de l’emploi pérenne si cette flexibilité est assortie d’une meilleure régulation du recours aux contrats courts.
Du côté de l’entreprise, la première cause de satisfaction liée à la flexibilité interne est la réduction de l’absentéisme (27% des employeurs interrogés) devant même la réduction des coûts liés aux heures supplémentaires (22%).
Cela permet aussi à chaque entreprise d’améliorer sa compétitivité hors coût (réactivité) et à l’ensemble des entreprises d’optimiser le taux d’utilisation de l’appareil productif. Cela peut sembler paradoxale mais avoir un horaire moyen plus bas favorise l’absorption de pics d’activités.
C’est en grande partie grâce à leur gestion très cyclique du temps de travail que les entreprises allemandes ont réussi à traverser l’effondrement de l’activité, avec des destructions d’emplois très mesurées au regard de l’ampleur de la crise. La force du modèle allemand réside dans la complémentarité d’un ensemble d’instruments de gestion du temps de travail, qui répartit le risque conjoncturel entre l’ensemble des acteurs.
Les entreprises allemandes cumulent ainsi des dispositifs de type assurantiel (essentiellement le chômage partiel), des dispositifs de baisse transitoire du temps de travail et des dispositifs de répartition du temps de travail tout au long du cycle économique, type comptes épargne temps. Mais, pour être acceptable et efficace, cette flexibilisation du temps de travail doit reposer sur deux éléments qui font cruellement défaut en France : la qualité des relations professionnelles et l’inscription des acteurs dans le long terme.
Le principal enseignement de l’expérience allemande reste celui du dialogue social, en l’absence duquel les outils de flexibilité deviennent facteurs de risque de dégradation des conditions de travail.
Mais les comparaisons internationales montrent surtout que la France est en retrait par rapport à des pays tels que les Etats scandinaves dans la participation des salariés à la définition des plannings, des horaires de travail, etc.
La participation des salariés n’est pas contradictoire avec l’accroissement de la flexibilité interne, au contraire : les salariés ont tendance à demander une individualisation des horaires, et à ne pas rejeter la flexibilité interne dès lors qu’elle ne contredit pas, voire qu’elle facilite, la conciliation des temps de la vie.
C’est-à-dire qu’elle doit donner au salarié voix au chapitre sur ses horaires, et lui garantir un minimum de visibilité sur ses plannings. Procéder de cette manière a pour effet d’augmenter sa satisfaction au travail (61% des salariés interrogés), et de mieux adapter ses horaires à la charge (54%), ce qui est a priori gage de performance durable.
21/ Donner du temps à tous les salariés pour se former et améliorer la qualité du travail
La formation professionnelle bénéficie prioritairement aux mieux formés, or ce sont les travailleurs les moins qualifiés qui risquent le plus de perdre leur emploi du fait des mutations économiques et technologiques.
Puisqu’il sera de plus en plus rare d’effectuer le même métier durant toute sa carrière professionnelle, celle-ci devra nécessairement comporter des périodes de formation plus importantes, à temps plein ou à temps partiel.
La réduction du temps de travail cependant encore rarement envisagée comme une stratégie pour se former tout au long de sa vie professionnelle.
Partager le travail pour protéger notre santé
22/ Historiquement, la réduction du temps de travail a été conquise pour permettre aux salarié-e-s d’être en meilleure santé
Contrairement aux idées reçues, il y a toujours aujourd’hui un lien direct entre temps de travail et santé des salarié-e-s. L’impact du temps de travail sur la santé est démontré. Le risque d’accident, le stress et les maladies professionnelles augmentent sensiblement avec l’allongement du temps de travail hebdomadaire et l’irrégularité des temps de travail. Leur hausse est fulgurante à compter de la huitième heure de travail lorsque le travail est accompli de nuit.
En donnant aux salariés le temps de mieux reconstituer leur force de travail, non seulement physiquement mais aussi psychiquement, elle a boosté leur productivité tout en allongeant leur espérance de vie.
De plus, le mal travail coûte 80 milliards d’euros, 4 points de PIB par an à notre économie. À comparer aux 14 milliards de déficit de la Sécurité sociale. Cette évaluation a été confirmée par les différents ministres du Travail et correspond à la moyenne européenne. Dans ce mal travail sont comptabilisés les accidents du travail et maladies professionnelles pourtant sous-déclarés mais aussi l’ensemble des malfaçons, des rebuts et autres gâchis que chaque salarié peut constater tous les jours au travail.La transformation du travail indispensable pour sortir de la crise et changer de société, est au cœur de la réduction du temps de travail.
Selon une étude d’économistes de l’Université de Melbourne (Australie), les salariés de plus de 40 ans ne devraient plus travailler que 3 jours par semaine, s’ils ne veulent pas en souffrir des conséquences: stress, diminution progressive des capacités d’apprentissage, de mémorisation, de raisonnement…D’autres études scientifiques placent l’âge limite à 45 ans: à partir de cet âge, mieux vaut lever le pied. John Ashton, ancien président de la Faculté de santé publique du Royaume-Uni, a même suggéré que le Royaume-Uni a besoin d’une semaine de travail de quatre jours pour combattre correctement le stress.
23/ Les longues heures accroissent le risque de faire un AVC
En analysant les données fournies par des études portant sur 600 000 personnes originaires d’Europe, des États-Unis et d’Australie, des chercheurs ont découvert que travailler plus de 55 heures par semaine augmentait de 33 % le risque de faire un AVC et de 13 % celui de développer une maladie des coronaires (les artères nourricières du cœur) par rapport à un travail hebdomadaire de 35 à 40 heures.
Ce résultat a été obtenu en suivant pendant sept à huit ans des hommes et des femmes qui n’avaient aucune maladie cardiovasculaire connue au début de l’étude. Il a été pondéré en tenant compte des autres facteurs de risques des maladies cardiovasculaires – tabagisme, consommation d’alcool ou sédentarité –, précise l’étude.
Ses auteurs relèvent que le risque d’AVC n’apparaît pas brutalement au-delà de 55 heures de travail hebdomadaires mais augmente parallèlement à la durée du travail : 10 % de plus chez les personnes travaillant entre 41 et 48 heures et 27 % de plus chez ceux travaillant entre 49 et 54 heures.
La Turquie a la plus grosse proportion de salariés travaillant plus de 50 heures hebdomadaires (43 %), alors que les Pays-Bas ont la proportion la plus faible, moins de 1 %. Juste derrière la Turquie, on trouve le Mexique (28,8 %) et la Corée du Sud (27,1 %). La France arrive en 9e position (8,7 %) alors que l’Allemagne compte seulement 5,6 % d’employés réalisant plus de 50 heures de travail par semaine, selon des chiffres publiés en avril 2015 par l’OCDE.
Enfin, selon une étude d’économistes de l’Université de Melbourne (Australie), les salariés de plus de 40 ans ne devraient plus travailler que 3 jours par semaine, s’ils ne veulent pas en souffrir des conséquences: stress, diminution progressive des capacités d’apprentissage, de mémorisation, de raisonnement… D’autres études scientifiques placent l’âge limite à 45 ans: à partir de cet âge, mieux vaut lever le pied
24/ L’état de santé, physique et mental, des personnes privées d’emploi se dégrade.
Une étude Inserm, menée par Pierre Meneton , révèle que le chômage tuerait « entre 10 000 et 20 000 personnes par an ». Ces travaux mettent en évidence une « surmortalité très importante » chez les chômeurs, presque trois fois supérieure à celle des non-chômeurs. Le chômage a notamment des effets majeurs sur la survenue d’accidents cardiovasculaires et de pathologies chroniques.
Selon la DARES, épisodes dépressifs majeurs et troubles anxieux généralisés sont 3 fois plus fréquents chez les hommes, 1,2 fois plus chez les femmes. Selon Michel Debout, professeur de médecine, près de 900 personnes au chômage se suicident chaque année faute d’un accompagnement médical adéquat
25/ L’intensification du travail nuit à la santé
L’intensification du travail est une réalité partagée par de plus en plus de salariés. Elle est générée notamment par les changements organisationnels incessants et un rythme de travail de plus en plus contraint, à la pression du juste-à-temps et au développement du service au client.
Le pourcentage de salarié.e.s devant respecter des normes ou des délais de production inférieurs à l’heure est passé de 5 à 25 % en une vingtaine d’années. On a assisté à l’explosion des troubles musculo-squelettiques (TMS), devenus, avec plus de 40 000 cas reconnus par an, la première cause de maladies professionnelles indemnisées.
Selon la DARES, la part des salariés dont le rythme de travail est imposé par un contrôle ou un suivi informatique est passée de 25% en 2005 à 35% en 2013. Cette hausse est plus sensible pour les cadres (+12 points) et les professions intermédiaires (+13 points).
La proportion de salariés européens estimant avoir à être sous la pression de délais serrés au moins un quart du temps est de 62% (European Working Conditions Survey). Cette intensification s’accompagne d’une exposition à des risques physiques et sanitaires toujours importante et d’une complexification du contenu des métiers, densifie le temps de travail et alourdit ses effets sur l’organisme.
Selon les enquêtes « conditions de travail » et « SUMER de la DARES, il faut concéder que la réduction du temps de travail a pu contribuer à amplifier la tendance de long terme à l’intensification du travail, même si une pause a pu être constatée par ses mêmes enquêtes pendant la période de mise en œuvre des lois Aubry.
Toute nouvelle réduction du temps de travail collective doit donc se dérouler dans le cadre d’une négociation prenant bien en compte les modifications des conditions de travail engendrées par les changements d’organisation.
26/ Pour empêcher l'épuisement professionnel ou burnout
De plus en plus de personnes se « consument » – traduction littérale de burn-out – à cause de leur boulot. Le burn-out toucherait en France entre 30 000 personnes, selon l’Institut de veille sanitaire (InVS), et trois millions, selon le cabinet spécialisé dans la prévention des risques professionnels Technologia. Ce phénomène ne possède pourtant aucune définition officielle et ne compte donc pas encore parmi les maladies professionnelles reconnues. A noter qu’une mission d’information a présenté le 9 février 2017 à l’Assemblée nationale des pistes pour faciliter la reconnaissance de l’épuisement au travail.
Dans l’esprit de cette mission d’information, le burn-out est défini de façon large par « l’ensemble des troubles psychiques que subissent les travailleurs confrontés à un environnement professionnel délétère ». Afin de définir un terme flou, source de confusion, l’Académie nationale de médecine, recommande de « définir médicalement le burn-out et la manière de le traiter ». Le débat agite en fait la question suivante : le burn-out a-t-il une seule cause, le travail, auquel cas il pourrait être considéré comme une maladie professionnelle (ce syndrome deviendrait officiellement la 99e maladie professionnelle, et donc, des salariés pourront être indemnisés pour ce motif) ou a-t-il plusieurs causes, ce qui suggérerait qu’il puisse être repris sous l’appellation de « maladie liée au travail ». Pour l’heure, la seconde interprétation semble l’emporter.
La responsabilité pourrait tenir à plusieurs sources qui se combinent : l’organisation du travail, le management de l’entreprise, la conjoncture économique, les relations interpersonnelles, voire personnelles. Pour la professeur de psychologie américaine Christina Maslach, ce syndrome est généralement caractérisé par la présence de trois signes : l’épuisement ou assèchement émotionnel ; la dépersonnalisation ou déshumanisation, qui renvoie à une posture de détachement par rapport aux personnes pour qui et avec qui on travaille ; le sentiment de non-accomplissement personnel au travail ou la perte du sentiment d’accomplissement.
L’augmentation des cas de burn-out est souvent mise en relation avec les bouleversements économiques et l’apparition de nouvelles méthodes de travail, plus intenses et contraignantes. Utilisé dès les années 1970 à propos des métiers de l’aide et des soins, le burn-out s’applique aujourd’hui à toutes les professions.
Selon le sociologue Pascal Chabot, auteur de Global Burn-out, le burn-out est « la maladie du trop : trop de vitesse, d’objets, d’échanges et de combustion mentale et physique. Un trouble-miroir qui se place sous le signe du feu pour une société qui vit une combustion permanente. Les victimes de burn-out ne sont ni des paresseux ni des inadaptés. »
Ce qui est certain c’est que le problème se situe dans la relation au travail. Le burn-out est une riposte à des formes d’organisation intenables. Le paradoxe est que si certains souffrent de plus en plus de leur travail, dans le même temps des proportions importantes de la population souffrent de ne pas en avoir. On ne peut donc pas réfléchir à des dispositifs pour rendre un travail de plus en plus dense, intense, supportable pour une portion limitée de la population alors qu’en même temps le souhait de partager ce travail est important.
27/Le présentéisme est devenu la première cause de contagion en France et coute 13 à 25 milliards d'euros par an
Alors que l’absentéisme est souvent pointé du doigt comme étant une source de pertes pour les entreprises, avoir des salariés présents mais malades et démotivés serait en réalité deux fois plus coûteuses pour les sociétés.
Le cas typique, c’est le salarié à qui son médecin a prescrit cinq jours d’arrêt et qui ne le prend pas ou qui revient le troisième jour.
Et si ça peut paraître pratique à court terme pour l’entreprise, au final, cela lui revient très cher. Un employé qui vient travailler lorsqu’il est malade est moins productif et surtout, il se fatigue.
Par ailleurs, le présentéisme peut entraver la guérison et empêcher que les salariés récupèrent pour revenir à un état de santé normal.
Désintensifier le travail pour travailler mieux
28/ Pour lutter contre la culture du présentéisme et de la disponibilité permanente
En période de crise, pour montrer à son patron que l’on est impliqué à fond, on peut être entraîné dans un sur-investissement au travail, avec par exemple des horaires à rallonge qui provoquent un état d’épuisement émotionnel.
Rester tard au travail juste pour se faire bien voir par son patron, c’est très Français ! Dans les pays du nord de l’Europe ou au Canada, par exemple, c’est le contraire : si on reste tard, ça peut être mal vu parce que ça veut dire qu’on n’a pas été productif. « Dans la mentalité française, ce n’est pas bien de partir de bonne heure, ce n’est pas bien d’aller se reposer quand on est fatigué, donc il faut essayer de casser tous ces tabous », explique Roger Letienne, président d’Optisantis.
Ces comportements peuvent entraîner une baisse importante de la quantité et de la qualité du travail réalisé, ainsi qu’une augmentation du risque d’accidents et de conflits. Les salariés, parce qu’il vaut mieux avoir un emploi plutôt que risquer le chômage, sont parfois présents à leur poste mais subissent une sorte de «démission intérieure» quand ils ne pas motivés par ce qu’ils font…
A lutter «bêtement» contre l’absentéisme –en instaurant des primes aux présentéistes par exemple–, on ne résout aucun problème: l’absentéisme se transforme alors en un surprésentéisme encore plus pernicieux.
29/ Pour permettre aux cadres d’obtenir un droit effectif à la déconnexion
Une partie des cadres (40%) travaille en moyenne au-delà de 49 heures. Un malaise grandissant est constaté dans cette population, qui n’est probablement pas sans lien avec la montée de sa charge de travail qu’elle ressent.
La charge de travail et sa durée sont les premières causes de la « sur-connexion ». C’est la raison pour laquelle la question de l’évaluation de la charge de travail et de sa durée est centrale.
L’introduction du droit à la déconnexion dans le Code du travail est une première avancée. Ce droit doit protéger les périodes de repos des salarié-e-s mais aussi garantir le respect du temps de travail. Lire ou répondre à un mail comme répondre au téléphone, c’est du temps de travail ! De même, toute période où le salarié-e doit rester joignable doit être, conformément au Code du travail, considérée comme une astreinte.
Les heures supplémentaires, ni payées ni récupérées, se généralisent pour concerner 40 % des professions techniciennes et la majorité des cadres. Les outils numériques participent à l’intensification du travail, à la surcharge informationnelle et à la disponibilité permanente et sans limite. Ainsi, 56 % des cadres travaillent durant leur jour de repos. Et 30 % ne déconnectent jamais. Pourquoi ? Parce que la charge de travail ne cesse d’augmenter.
De plus, beaucoup de temps de travail effectif (à la maison, dans les transports, etc.) passe à la trappe. Il est nécessaire de comptabiliser toutes ses heures de travail réellement effectuées quel que soit le régime de travail (télétravail, forfaits jours, etc.). Toutes les études montrent que l’utilisation des outils numériques entraîne une culture de l’immédiateté et qu’elle intensifie le travail.
Dans le même temps, des gains de productivité sont réalisés avec les nouvelles formes de travail qui se développent : le télétravail se traduit par une hausse de productivité estimée à 22 %.
Enfin, la France a quelque peu concentré l’emploi de ses cadres sur un nombre de postes de travail plus réduit que ce que son potentiel démographique et éducatif pourrait permettre.
Il semble par conséquent qu’il y ait lieu de mieux réguler le temps et la charge de travail de la partie de l’encadrement qui travaille au-delà de la durée maximale de droit commun (48 heures sur une semaine), et d’instaurer une logique de partage qui permette de créer des postes d’encadrement, et de fournir ainsi un emploi qualifié à l’ensemble des demandeurs d’emploi qualifiés, en particulier les jeunes diplômés.
30/ Etre moins productifs peut améliorer la qualité du travail et aider à résorber le chômage
Malgré les 35 heures, les Français figurent toujours parmi les plus productifs au monde : en 2015, chaque Français qui occupe un emploi a produit ainsi 12 % de richesses de plus en moyenne que son collègue allemand, 14 % de plus que la moyenne de la zone euro, 16 % de plus qu’un Italien, 27 % de plus qu’un Espagnol, 29 % de plus qu’un Japonais, 41 % de plus qu’un Coréen, 66 % de plus qu’un Polonais. Si nous étions aussi paresseux qu’on le dit, ça devrait obligatoirement se refléter dans ces chiffres…
Les injonctions permanentes à l’augmentation de la rentabilité et de la productivité finissent par détruire non seulement la qualité du travail mais aussi le sens du travail.
Par la réorganisation du travail qu’elle entraîne souvent, la réduction du temps de travail permet de se réinterroger sur le sens de ce qu’on produit. Elle est alors porteuse de dynamiques pour produire autrement et le qualitatif peut l’emporter sur le pur comptable.
31/ Pour aller vers le travail soutenable
Le modèle de performance qui a intensifié le travail en entreprise fait miroiter l’idée que cette intensification – faire plus en moins de temps – va aussi rendre la vie plus intense. C’est très illusoire. Car pour que le travail ait sens et qualité, il faut du temps, pouvoir endurer des difficultés, les exprimer, chercher des solutions, mais avec patience, persévérance. Or, toutes ces dimensions-là sont complètement aplaties dans le modèle de la performance et l’insistance sur la productivité.
Pour Patricia Vendramin, le travail « soutenable » est une manière de penser et d’organiser le travail dans une société en tenant compte de toutes les dimensions qui font la qualité du travail, dans une perspective de parcours de vie. Mais il s’agit aussi, plus globalement et à plus long terme, de penser autrement le statut du travail dans nos sociétés, ce qui touche donc à la question du partage du temps de travail.
Même si le temps de travail se réduit, mais que la qualité de vie au travail ne change pas, le temps libre dégagé par ailleurs ne s’améliore pas non plus. Car ce qu’on a éprouvé au travail va nécessairement avoir des effets négatifs aussi hors-travail.
La diminution collective du temps de travail aurait des effets d’autant plus positifs qu’elle s’accompagnerait d’une réflexion approfondie sur l’organisation du travail. Si rien ne change à ce niveau, en particulier dans les rythmes, la qualité du travail ne s’améliorera pas.
II) Mettons fin au partage sauvage du travail
Mieux vaut partager équitablement le travail qu’étendre le temps partiel subi
32/ Le plein emploi n’existe nulle part
A entendre nombre de commentateurs, le chômage serait une spécificité française, mise en évidence par un taux de chômage élevé et qui ne diminue pas, contrairement à ce qui se passe chez nos voisins. Cette présentation est biaisée.
Il n’y a plus aucun pays en situation de plein emploi si l’on continue à voir le plein emploi comme tous-tes à 40 heures
Il convient plutôt de comparer les taux d’emploi des différents pays et de prendre en compte les temps partiels. Si l’on calcule ainsi des « Taux d’emploi Equivalent Temps Plein » , les écarts entre les principaux pays européens apparaissent alors très réduits. Partout, l’emploi (en ETP) est assuré à 6 personnes sur 10.
En plus d’être utilisées pour justifier la thèse « les français ne travaillent pas assez», les comparaisons internationales sur les temps pleins masquent un temps partiel essentiellement féminin partout en Europe, surtout dans les pays avec des taux de chômage bas.
33/ La durée du travail est en moyenne de 35 heures en Europe, même en Allemagne
Entre 1970 et 2010, la durée réelle du temps travail est en baisse dans tous les pays de l’OCDE. La durée effective du travail en France n’est pas particulièrement basse par rapport à celles des autres membres de l’Union européenne si l’on considère le temps de travail de tous les salariés, et pas seulement ceux à temps complet.
Malgré les 35 heures, le temps le travail moyen des salariés Français se situe aujourd’hui toujours dans la moyenne des Européens : 34,4 h par semaine en 2014, contre 34,8 h dans la zone euro. C’est autant qu’en Allemagne et davantage qu’au Danemark (33,5 h par semaine), autre pays qu’on nous présente régulièrement comme un « modèle ».
Il y a cependant des pays en Europe où on travaille nettement plus qu’en France : il en est ainsi de la Roumanie (40,8 h par semaine), de la Bulgarie, (39,7 h) ou encore de la Grèce (38,1 h). Autrement dit les pays les plus pauvres et les moins développés du continent.
Les vrais « paresseux » en Europe sont les Néerlandais, qui ne travaillent « que » 30,6 h par semaine en moyenne tout en étant par ailleurs, avec l’Allemagne, un pays modèle de la rigueur budgétaire…
En Allemagne, depuis le début des années 2000, la durée du travail a baissé en raison d’un fort recours au temps partiel (il représente 28 % de l’emploi total et 18 % des actifs occupés travaillent moins de 20 heures), alors qu’en France, les lois du début des années 2000 ont participé à la réduction de la durée de travail à temps plein. Celle-ci est moins élevée que dans d’autres pays, mais il y a moins de temps partiel (18 % de l’emploi total). Finalement, temps plein et partiel confondus, les Français travaillent plus que les autres.
Dans la mesure où cette réduction du temps de travail est tendancielle et concerne l’ensemble des pays de l’Union européenne, il importe moins de questionner la pertinence de la réduction de la durée du travail que d’identifier les modalités les plus efficaces et les plus justes de celle-ci en matière d’emploi.
34/ Dans la plupart des pays la durée du travail a baissé en raison d’un fort recours au temps partiel féminin
Dès qu’on intègre les temps partiels, plus courts et plus nombreux chez la plupart de nos voisins, les durées moyennes travaillées sont presque identiques. l’Angleterre et l’Allemagne ont fait le choix d’avoir deux fois plus de temps partiels à moins de 20h qu’en France.
Les femmes sont ainsi 46,6 % à travailler à temps partiels en Allemagne, 40,9 % au Royaume Uni et 76,9 % aux Pays Bas (en 2015, source Eurostat).
Ce qui fait que l’écart moyen de temps de travail entre salariés hommes et femmes (4,7 h par semaine), bien que considérable, est quand même deux fois plus faible en France qu’aux Pays-Bas (10 heures), qu’en Allemagne (8,6 h) ou encore qu’au Royaume-Uni (8,4 h).
En réalité, tous les pays comparables ont réduit le temps de travail dans des proportions analogues à la France depuis trente ans. Notre seule véritable spécificité est d’avoir réduit davantage le temps de travail des hommes que celui des femmes pendant que d’autres pays utilisaient l’emploi féminin comme des variables d’ajustement.
35/ En France, le contrat de travail à temps partiel est subi pour une personne sur trois
L’emploi à temps partiel a fortement progressé au fil des générations. Près d’un emploi sur cinq est à temps partiel aujourd’hui, contre un emploi sur vingt à la fin des années 1960.
Ces chiffres globaux ne reflètent toutefois pas la grande disparité des situations. Tout d’abord, le contrat de travail à temps partiel est subi pour une personne sur trois (chiffres 2011).
En France, 82% des salariés à temps partiel sont des femmes. Cette inégalité se double d’une autre caractéristique : la proportion de femmes à temps partiel est considérablement accrue lorsqu’elles ont des enfants à charge. Ainsi, plus de 45 % des femmes salariées ayant trois enfants travaillent à temps partiel.
A l’inverse, selon l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail), le choix du temps partiel par les hommes suit une courbe opposée, car ils choisissent ce type de contrat majoritairement lorsqu’ils n’ont pas d’enfants à charge : 18 % d’entre eux travaillent à temps partiel afin d’exercer une autre activité professionnelle, reprendre des études ou se former.
Cela a pour conséquence d’une part, lorsque les quotités sont trop faibles, d’enfermer les salariées dans des petits boulots qui ne déboucheront pas sur un emploi qui permette de sortir de la précarité.
Accroitre le recours au temps partiel comme outil de lutte contre le chômage, c’est donc favoriser des logiques inégalitaires déjà en place, qui ne permettent ni l’autonomie des salariés ni l’indépendance financière des femmes.
36/ Le temps partiels touche souvent à des catégories sociales déjà fragilisées
Comme le rappelle régulièrement la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, le travail à temps partiel concerne également 27 % des jeunes, 25 % des seniors ou encore 25 % des personnes les moins diplômés.
32 % de salariés déclarant travailler à temps partiel faute de trouver un emploi à temps plein, sont en majorité moins diplômés que les autres salariés, occupent des emplois dits à faibles qualifications et leur contrat sont le plus souvent des CDD (contrats à durée déterminée) ou relèvent de l’intérim. Par ailleurs, parmi les 41 % déclarant choisir de leur plein gré le temps partiel, beaucoup le font parce qu’ils s’occupent de leurs ou de leurs parents. Qu’il s’agisse du soin des enfants ou des parents (des leurs ou ceux de leur conjoint), ce sont quasi-exclusivement les femmes qui sont, de fait, impliquées.
Ces contraintes relativisent assez largement la notion de choix. Quand on sait qu’en France plus de la moitié des travailleurs à temps partiel gagnent moins de 850 euros par mois, on voit en quoi un partage plus juste du temps de travail est un enjeu décisif en termes d’égalité et de dignité. Pour les salariés à temps partiel subi, c’est l’occasion d’un passage à temps plein et donc d’une augmentation de salaire.
37/ Aucun pays n’a réglé le problème du chômage sans précariser sa population
Parmi les pays européens qui sont sous le seuil des 5-6% de chômage, on observe une proportion de travailleurs pauvres particulièrement élevée : en Allemagne (22,8 % de l’emploi appartenant à cette catégorie), au Royaume-Uni (21,3%), aux Pays-Bas (18,5%), et en Autriche (14,8%), très nettement au-dessus de la France qui compte 8,8% de travailleurs pauvres. Cela explique en partie des poussées populistes qui peuvent paraître paradoxales à la vue du taux de chômage, qui n’est qu’un plein emploi de façade.
Presque tous les pays à faible taux de chômage recourent massivement au temps partiel court, donc au morcellement de l’emploi. Les pays proches du plein emploi obtiennent donc ce résultat soit sur la base d’un salaire dégradé, soit sur la base d’un travail plus fragmenté. Pas de miracle. L’imitation des autres ne suffira pas.
On peut penser à l’inverse que le chômage est un problème collectif, et que sa résorption, pour être juste, doit passer par des mesures qui mobilisent l’ensemble des salariés et de ceux et celles qui souhaiteraient pouvoir l’être.
L’extension du temps partiel, , caractérisé par l’essor de mesures individuelles d’aménagement du temps de travail, constitue effectivement une manière de partager le travail. Mais c’est est une fausse bonne idée : cela se ferait surtout par les travailleurs précaires et par les femmes, accroissant les inégalités.
A l’inverse d’une réduction du temps de travail des contrats à temps plein – comme ce fut le cas lors de la mise en place des 35 heures –, le temps partiel fait peser sur une petite partie de la collectivité tous les efforts de résorption du chômage.
Le partage actuel du travail fait exploser les inégalités et la pauvreté partout dans le monde
38/ La baisse du chômage se payent par l’augmentation de la pauvreté en Allemagne et en Angleterre.
La baisse du chômage allemand a développé des inégalités entre les hommes et les femmes et de la pauvreté (passée de 12 % en 2005 à 16,7 % en 2014). Les récentes réformes « Hartz », favorisant les contrats précaires (à temps partiels subis), et le recours à une main-d’œuvre étrangère sous-payée (délocalisation à l’est et salariés détachés sur place), ont permis d’accroître la compétitivité mais au prix de la dégradation de la situation sociale.
En 2010, le BIT avait reproché à l’Allemagne de diffuser des statistiques qui ne tenaient pas en compte des petits boulots entre 0 et 10h par semaine. Et pour cause, il y a environ 7 millions de « mini-jobs » soumis à un salaire plafond de 450 euros par mois et à une limite mensuelle de 53 heures
Même constat pour l’Angleterre qui semble bénéficier de bonnes performances économiques avec un taux de chômage faible (6,2 % en 2014). Cependant la plupart des emplois créés sont de mauvaise qualité. C’est le cas pour les 1,8 millions (en 2015) de « contrats zéro heures », qui obligent le salarié à travailler quand l’employeur le demande, mais n’obligent pas l’employeur à fournir un minimum de travail, donc de salaire…
39/ 20% de la population américaine a abandonné l’espoir de trouver du travail
Début 2015, le taux de chômage américain était de 5,4 %, mais le taux d’emploi était tombé à 59 % (contre 64 % en France). L’économie américaine offre de moins en moins d’emplois en proportion de sa population. 93 millions d’américains de 15 à 64 ans sont sortis des statistiques officielles du chômage, sans indemnisation, sans espoir de réinsertion.
Qui sont-ils ? Des jeunes et des étudiants (pour environ 20 millions), des retraités et préretraités (50 millions) […] mais aussi plus de 24 millions d’hommes et de femmes dans la force de l’âge (de 25 à 54 ans) qui ne cherchent pas ou plus à travailler. À côté, les 8,5 millions de vrais chômeurs (qui eux cherchent un emploi) font figure d’épouvantails.
Il faut malgré tout faire le tri dans ces 93 millions. Aujourd’hui, il n’y a pas moins de 30 millions d’Américains qui sont soit exclus involontairement du monde du travail, soit en situation de sous-emploi sévère. Si l’on ajoutait ces 30 millions aux 8,55 millions de chômeurs officiels, on obtiendrait un taux de chômage au sens large de 24,3%En réalité, les États-Unis ne peuvent aucunement être un modèle si l’on cherche à aller vers le plein- emploi : alors que dans l’imaginaire de la plupart de nos dirigeants, les États-Unis sont en situation de plein-emploi. Et parmi celles et ceux qui ont un emploi, il y a tellement de petits boulots que le Bureau of Labor Statistics indique que « la durée moyenne est stable à 34,4 heures ». Le pays le plus riche du monde est aussi celui des plus grandes inégalités et d’une misère inconnue chez nous.
Le taux de chômage donne une image fausse de la situation sociale des États-Unis car tous les mois, il y a 200 000 ou 300 000 Américains qui renoncent à s’inscrire au chômage. Ils sont découragés, n’ont plus droit à aucune indemnité et ne voient pas l’utilité de s’inscrire. Voilà pourquoi un nombre croissant d’économistes et de citoyens affirment que le meilleur indicateur de la santé du pays est le taux d’activité – participation rate – qui mesure la proportion des adultes américains qui sont actifs.
40/ Le chômage est le carburant des inégalités de revenu
Au-delà des situations les plus critiques d’exclusion de l’emploi ou de pauvreté, les inégalités s’accroissent dans de nombreux domaines, en particulier en ce qui concerne les revenus. Les « Trente Glorieuses » ont été marquées par une croissance des écarts de niveaux de vie, qui constitue l’une des raisons des grèves de 1968. Les années 1970 et 1980 ont constitué un tournant avec une nette diminution de ces inégalités. Depuis le milieu des années 1990, le vent tourne.
Les plus riches ont recommencé à s’enrichir et bien plus vite que les autres. Selon le rapport publié en 2016 l’association Oxfam, les 10% les plus riches ont accaparé 54% de l’augmentation des richesses entre 2000 et 2015 en France.
Comme le signalait le premier Rapport sur les inégalités en France de 2015, un autre phénomène s’est amorcé suite à la crise de 2008 : l’appauvrissement des plus pauvres. La baisse de leur niveau de vie ne s’est pas amplifiée au cours des dernières années, notamment grâce à la protection offerte par notre modèle social. Mais la lente diminution du niveau de vie des 10 % les moins favorisés constitue un retournement historique, un marqueur de notre histoire sociale. Ce choc nourrit une haine envers ceux qui continuent à profiter.
Si les classes moyennes ne sont pas « étranglées », elles sont entrées, depuis les années 2000, dans une période de stagnation. Pour elles, ce coup d’arrêt constitue un renversement. Voir leurs enfants peiner à faire au moins aussi bien qu’eux entraîne une profonde déception et du ressentiment.
Notre appréciation des inégalités est moins liée à leur niveau qu’à leur évolution. Dans une société où le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 75 % au cours des huit dernières années (de 3 à 4,5 millions) [6] et où le nombre de pauvres a augmenté d’un million en dix ans, il ne semble pas infondé d’être pessimiste.
Dans l’emploi par exemple, où l’on joue à faire comme si les dégâts du ralentissement économique étaient répartis dans l’ensemble de la société. « La crise » est partout dans les discours mais elle frappe essentiellement les milieux populaires. 70 % des chômeurs supplémentaires enregistrés entre 2008 et 2016 sont des employés ou des ouvriers. Le taux de chômage des ouvriers non qualifiés dépasse 20 %, quatre fois plus que les cadres supérieurs.
Notre société du travail se divise entre stables (majoritaires) et flexibles (minoritaires), entre ceux qui, fort de leur statut ou de leur diplôme, connaissent peu ou prou leur avenir et une minorité de flexibles qui permettent « d’ajuster l’offre de travail », qui naviguent à vue sans pouvoir se projeter.
Les autres pays sont loin de faire mieux que la France. Le chômage mine notre société mais les meilleures « performances » de nos voisins ont le plus souvent été obtenues au prix d’une montée de la pauvreté laborieuse ou en sortant une partie des actifs du marché du travail.
41/ Ce sont les actionnaires qui profitent le plus du partage actuel du travail
Une des causes de la remontée des inégalités en France est la part de richesse croissante que prélèvent les actionnaires. A la fin des années 1980, toutes les entreprises non financières (et donc pas seulement celles du CAC 40 ) distribuaient en moyenne 30 % de leurs bénéfices en dividendes ; en 2012, c’était 85 % ! En 2014, les entreprises ont ainsi versé 235 milliards d’euros à leurs actionnaires.
Les gains de productivité ont été principalement captés par les actionnaires de grands groupes, un phénomène aggravé par une concurrence internationale exacerbée par la multiplication des accords de libre-échange. Sans compter que les multinationales consolident leurs profits dans les paradis fiscaux, privant de rentrées fiscales légitimes et nécessaires les pays où elles produisent et vendent.
Contrairement à tout ce qui est dit, ces bénéfices ne sont pas réinjectés dans les entreprises. Pire, la voracité des actionnaires détruit l’emploi qui est considéré comme une entrave à l’augmentation de leurs bénéfices. Il serait donc tout à fait justifié de réorienter une part des bénéfices des actionnaires pour financer la création d’emplois.
Il n’y a pas de crise de la valeur travail mais une crise du sens et de l’organisation du travail
42/ Des millions de chômeurs font quotidiennement face à une crise de l’avenir
Le chômage est une condition sociale qui isole et marginalise. Les dénonciations récurrentes de la figure de l’assisté entraînent leur lot de conséquences négatives plus ou moins graves sur les personnes au chômage : repli sur soi, sentiment d’humiliation, doute sur sa valeur sociale, troubles de l’identité, destruction familiale et des réseaux amicaux, etc. Être au chômage est une épreuve qui ne se limite pas aux seules démarches de prospection d’emploi.
Il s’agit, d’abord, de résister à cette épreuve usante, ce qui se traduit par une organisation quotidienne pour ne pas être diminué, marqué, découragé. Il faut tenir pour préserver son identité et son intégrité personnelle, afin de vivre comme un actif, comme tout le monde en quelque sorte.
L’expérience du chômage est dominée par les incertitudes quant à sa fin. En moyenne la moitié de ceux qui sortent des fichiers de Pôle emploi retrouve un emploi. Mais pour d’autres, cette sortie se traduit le plus souvent par le passage à l’inactivité.
L’angoisse, c’est également celle d’arriver en « fin de droit », c’est-à-dire d’avoir épuisé ses droits à l’assurance chômage. On peut alors, sous conditions de ressources et seulement si on en fait la demande, bénéficier de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) ou du revenu de solidarité active (RSA). Mais la fin de droit marque surtout une étape supplémentaire dans l’éloignement de l’emploi et le déclassement social d’une personne.
L’expérience du chômage est donc une crise permanente, sur sa sécurité matérielle et son avenir, qui s’immisce dans le quotidien des chômeurs. La logique de partage du travail permet d’encourager, voire de récréer le sens de la solidarité entre chômeurs, mais aussi avec les non chômeurs.
43/ La valeur travail sert de prétexte pour refuser tout débat sur la quête de sens et de reconnaissance au travail
Toutes les études menées en Europe montrent que les Français sont parmi ceux qui accordent le plus d’importance au travail et à la possibilité de s’y épanouir. Il n’y a donc pas de « crise de la valeur travail ».
En revanche, les attentes fortes des individus, notamment des jeunes, à l’égard du travail (possibilité de s’exprimer, de se réaliser, de participer aux décisions, de tisser des liens humains, d’être utile, etc..) viennent souvent se fracasser sur la réalité actuelle de l’emploi (statut précaire, faible autonomie, pression hiérarchique, faibles perspectives d’évolution,…). Les nouvelles générations, mieux formées et plus féminisées, souhaitent également un meilleur équilibre entre vies professionnelle et personnelle. C’est ce qui explique le souhait paradoxal des français de voir le travail occuper moins de place dans leur vie.
44/ Le travail est de plus en plus fragmenté
Les dernières décennies ont vu l’organisation et le fonctionnement des entreprises se transformer : filialisation des « centres de profits », développement d’une sous-traitance contrôlée (« entreprise étendue »), production en juste-à-temps, « lean manufactoring ».
Il en est résulté un « éclatement de la collectivité de travail » entre un noyau stable de salariés et un halo de travailleurs périphériques (intérim, « prestataires », …). Pour Dominique Méda et Patricia Vendramin, « la recherche de flexibilité, de l’emploi et du travail, est le fil conducteur des transformations organisationnelles ; elle concerne toutes les dimensions du travail : le contrat, la localisation, le temps, le lien de subordination, la qualification ; elle est au cœur de la fragmentation du marché du travail ».
45/ Les indépendants ne sont pas condamnés à l’ubérisation
Chefs d’entreprise, professions libérales, agriculteurs, commerçants : les indépendants échappent à la réglementation sur le temps de travail. Ils sont libres d’organiser leur temps, et leurs horaires sont souvent bien plus élevés que ceux des salariés, hors salariés en forfait jours. D’après Eurostat, les indépendants travaillent en moyenne douze heures de plus par semaine que les salariés : 51 heures hebdomadaires à temps plein, contre 39. Et ce n’est qu’une moyenne. Même si selon l’activité exercée, ils sont soumis à certaines règles sur la durée de leur travail pour des raisons de santé et/ou de sécurité.
Aujourd’hui, le travail indépendant rime de plus en plus souvent avec précarité. Les chauffeurs d’Uber en sont devenus la figure emblématique. Avec « l’ubérisation » de la société se développent des emplois dans les zones grises du travail salarié et indépendant, en dehors des protections du salariat. Ces emplois donnent l’illusion de la liberté et de l’autonomie, mais débouchent souvent sur une sorte d’autoexploitation. Certains autoentrepreneurs travaillent de très longues heures pour des revenus extrêmement faibles : au bout de trois ans, 90 % d’entre eux gagnent moins que le smic et leurs revenus s’élèvent en moyenne à 460 euros par mois. Si les revenus tirés du travail sont si faibles, il faut travailler toujours plus : la tâche s’intensifie, les durées s’allongent, il n’y a plus de différence entre vie professionnelle et vie privée, le travail mange tout.
Comment dès lors éviter que ces travailleurs ne fassent les frais d’une nouvelle réduction du temps de travail des salariés et que les entreprises ne soient tentées de faire davantage encore appel à ce type d’actifs plutôt que d’embaucher ?
La première piste consiste dans un meilleur encadrement du recours aux contrats courts, aux intérimaires et aux prestataires externes. Elle réside aussi dans les procédures de requalification, qui font rentrer les travailleurs non salariés dépendant économiquement de telle ou telle entreprise dans le droit commun du travail salarié. Au final, il ne s’agit pas tant de créer des droits spécifiques pour ces travailleurs, mais d’abord de leur assurer les mêmes droits que les autres.
46/ Remettre en cause l’organisation pyramidale des entreprises
Les nouveaux besoins des entreprises et les nouvelles aspirations des salariés conduisent à mettre en cause l’organisation pyramidale, particulièrement lourde en France. Le travail en équipe ou par projet se développe et nombre d’entreprises cherchent à appuyer leur développement sur la créativité de leurs salariés. C’est souvent (mais pas toujours) le cas des entreprises à gouvernance démocratique (SCOP, associations). C’est également l’orientation prise par les « entreprises libérées ». Partant du principe que les salariés sont les mieux placés pour savoir comment faire le travail, ces entreprises suppriment les procédures, les contrôles, la surveillance et les hiérarchies qui s’en occupent.
47/ Ne plus considérer le travail comme une marchandise
Aujourd’hui le travail est souvent vu soit comme une compétition entre employeurs pour obtenir les ouvriers au plus bas cout soit comme une compétition entre actifs pour obtenir du travail. Cette marchandisation du travail conduit à une baisse inexorable des salaires et une crise de sens.
Il faut se souvenir du premier acte de la reconstruction engagée après la crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale. Les livres d’histoire insistent tous sur l’importance de Bretton Woods : le grand sommet convoqué par Roosevelt entre le 1er et le 22 juillet 1944 pour reconstruire le système financier international. Mais avant de convoquer Bretton Woods, Roosevelt rassemble tous les Alliés au sommet de Philadelphie, le 10 mai 1944.
La déclaration signée ce jour-là par Roosevelt et les autres dirigeants présents est un texte qui reste totalement d’actualité en posant que « le travail n’est pas une marchandise ». Il s’agit donc de condamner le dumping salarial et d affirmer le besoin de définir dans chaque pays un salaire minimum et des règles sur le temps de travail. Tous ceux qui avaient connu la crise de 1929 et la barbarie qu’elle a engendrée, étaient convaincus qu’on ne pouvait pas faire confiance à la concurrence libre et non faussée : « Il n’y aura pas de paix durable sans justice sociale. »
Mais les signataires de ce texte ne se sont pas contentés de proclamer de bonnes intentions : ils ont mis en place dans tous nos pays et dans le commerce mondial des règles sociales que tous les acteurs ont dû respecter. Cela n’empêchait pas la concurrence et l’innovation (concurrence entre pays ou concurrence entre entreprises d’un même pays) mais tous respectaient ces règles.
Qu’on l’appelle « esprit de Philadelphie » aux États-Unis, ou « esprit du Conseil national de la Résistance » en France, les leçons qu’ont retenues tous ceux qui ont connu la crise de 1929 ont été les mêmes des deux côtés de l’Atlantique. Et les règles qu’ils ont édictées (dans chaque pays et dans le commerce mondial) ont permis trente années de prospérité.
Ce n’est donc pas seulement par humanisme que nous affirmons notre attachement à la justice sociale et notre refus des politiques de dérégulation. C’est aussi pour des raisons « bassement matérielles », bêtement économiques que nous affirmons que la justice sociale n’est pas un luxe auquel il faut renoncer à cause de la crise.
III) Etre plus nombreux à travailler moins, c’est logique et pragmatique sur le plan économique
Mieux répartir le volume total de travail est la bonne recette pour créer de l’emploi
48/ Le volume annuel de travail est stable en France depuis 1950
La croissance ne suffira pas à assurer les besoins d’une population active qui devrait croître de 125 000 personnes par, nécessitant donc 1,5 million d’emplois à créer d’ici 12 ans. Les prévisions de France Stratégie vont dans le sens d’un maintien de le situation actuelle pour les prochaines années.
Cependant la hausse de l’activité économique (la croissance du PIB) nécessite-t-elle plus d’heures de travail chaque année ?
Si l’on regarde les chiffres du Conférence Board, (une organisation qui compile les données produites par les instituts statistiques nationaux, pour la France il s’agit donc de l’INSEE), en 1950, les travailleurs français (salariés et indépendants) ont effectué collectivement 44,8 milliards d’heures de travail ; en 1974 c’était 42,1 milliards.
Le volume annuel de travail a donc baissé de 6,1% pendant les Trente Glorieuses ! Et, sur la même période, les autres pays ne font pas exception : l’Allemagne a créé 24,0% d’emplois avec 5,4% d’heures en moins, et le Royaume-Uni 13,4% d’emplois avec seulement 1,8% d’heures en plus.
Les chiffres de l’INSEE peuvent cependant être nuancés par les séries reconstituées par Olivier Marchand et Claude Thelot. Selon cette étude nous serions passés de 40,3 milliards d’heures en 1949 à 41,0 en 1974 soit une hausse de 1,6%, un chiffre certes positif mais qui n’explique en rien les 13 % d’emplois créés sur cette même période.
A noter également que l’INSEE utilise l’expression « volume total d’heures travaillées », le GGDC « total d’heures travaillées » (total hours worked).
Le volume annuel de travail n’étant pas une grandeur fixe, sa composition se modifie en continu, car le progrès technique détruit certains emplois et en crée d’autres (« destruction-créatrice »). Mais il fluctue aussi en quantité. C’est ce dernier point que trop d’économistes, et par conséquent de politiques économiques, ne prennent pas en compte.
Pourtant, là se trouve la clef : l’emploi dépend avant tout de la quantité de travail dont a besoin l’économie pour fonctionner et de la manière dont cette manne est répartie entre les actifs. Pour que plus d’actifs aient du travail, il faut baisser la quantité de travail de ceux qui ont déjà un emploi.
49/ Seule la baisse de la durée moyenne travaillée peut permettre de créer des emplois malgré la baisse ou la stagnation du total des heures travaillées
Pendant les Trente Glorieuses nous avons travaillé moins tout en devenant plus riches, collectivement comme individuellement. C’est la réduction de la durée moyenne travaillée qui a créé les emplois pendant les Trente Glorieuses, pas la croissance.
De 1950 à 1974, la durée moyenne du travail a baissé de 16,9 % en France, de 23,7 % en Allemagne et de 11,1 % au Royaume-Uni. En revanche la croissance ne crée du travail supplémentaire que lorsqu’elle est plus rapide que les gains de productivités horaire. Or, entre 1950 et 2015 la productivité a augmenté plus vite que la production. La croissance peut donc réduire le volume annuel de travail nécessaire… et par conséquent les emplois si la durée moyenne du travail ne baisse pas.
Le même mécanisme s’est globalement reproduit depuis 1975. La richesse supplémentaire apportée par la croissance ne permet de créer suffisamment d’emplois que si on l’utilise pour réduire la durée du travail tout en maintenant les salaires mensuels.
1975-2015 | PIB | Total des Heures Travaillées | Durée Moyenne Travaillée | Emploi |
France | +111,8% | -1,2% | -20,4% | +24,2% |
Allemagne | +104,8% | -12,9% | -24,3% | +15,0% |
Royaume-Uni | +133,6% | +11,3% | -11,2% | +25,4% |
Tableau . Du PIB à l’emploi, comparaisons internationales 1975-2015
Source : Données du « Conference Board », calcul des auteurs du livre « Stop au chômage, et à la régression sociale »
50/ Travail et richesse, les deux gâteaux à partager
La croissance nous apporte en réalité deux « gâteaux » : le premier gâteau est le PIB (mesuré annuellement), dont la croissance nous rend collectivement plus riches. Si une forte croissance aide à la création d’emplois (elle crée des revenus supplémentaires), elle nécessite moins de travail du fait des gains de productivité.
Le deuxième gâteau est le volume annuel de travail. Or, l’emploi dépend d’abord de ce deuxième gâteau, et ne suit pas forcément le premier (la richesse) : il peut très bien diminuer de taille pendant que le PIB grossit. Pour que tout le monde en ait sa part, il faut donc faire des parts plus petites dans ce « deuxième gâteau », baisser la durée moyenne travaillée par chacun.
Par exemple, de 1985 à 2015 le PIB a augmenté de 68,7 % mais le total de heures de travail nécessaires pour ce faire a augmenté de 8,2 %, 8 fois moins vite. Comment expliquer dès lors les 20,9 % d’emplois supplémentaires créés entre 1985 et 2015 ? La réponse se trouve dans la diminution de la durée moyenne travaillée (DMT). Celle-ci a en effet baissé de 10,5%, sous l’effet des 35 heures et de la hausse des temps partiels. C’est donc bel et bien la manière dont on répartit le volume total de travail qui crée plus ou moins d’emplois, pour un volume de travail donné.
Le progrès technique et la productivité des travailleurs français permettent donc de travailler moins en gagnant plus. Mais depuis 40 ans la baisse de la durée moyenne travaillée est insuffisante pour assurer le plein emploi.
51/ La clé de l’emploi se situe dans la répartition du volume de travail entre les actifs
C’est la conclusion à laquelle a abouti, en 1965, l’économiste d’après-guerre Jean Fourastié, auteur du livre Les 40 000 heures. Il estimait qu’à la fin du XXe siècle, nous devrions aboutir à 30 heures de travail hebdomadaires pour une durée de vie active de 35 ans — soit une durée annuelle de travail de 1.200 heures. Aujourd’hui, en France, la durée annuelle de travail est de 1.400 heures en moyenne. L’objectif de M. Fourastié semble tout à fait réaliste compte tenu du taux de chômage actuel et des possibilités de vivre bien sans nécessairement produire toujours plus.
Si nous en étions encore aujourd’hui aux 1 900 heures annuelles du milieu des années 1960, nous aurions, pour le même volume total d’activité et de production, environ 6 millions de chômeurs en plus des 6,5 millions d’inscrits à Pôle emploi. Le partage du travail est donc terriblement efficace pour faire reculer le chômage.
Le progrès technique nous a donné la possibilité de travailler moins en produisant plus
52/ Le chômage n'est pas dû pour l'essentiel à la mondialisation mais aux gains de productivité
Le gros des destructions d’emplois dans le secteur industriel tient davantage aux gains de productivité qu’au commerce mondial. Au cours des dernières années, ces gains de productivité ont été deux à trois fois supérieurs dans le secteur industriel – de l’ordre de 4 % – à ce que l’on observe en moyenne dans le reste de l’économie.
Autrement dit, pour produire la même quantité de biens industriels, il faut 4 % de travailleurs en moins chaque année. Au total, on peut dire que 10 % à 15 % des destructions d’emplois industriels sont liés au commerce international, et de 85 % à 90 % aux gains de productivité.On peut d’ailleurs suivre leur impact d’une autre manière : en examinant la part du secteur industriel dans le PIB de notre pays. Si la mondialisation était responsable de la désindustrialisation, la part de l’industrie devrait se contracter, à mesure que le quantum de biens fabriqués se réduit. Or, ce n’est pas le cas. De 1997 à 2007 par exemple, c’est-à-dire au moment où la mondialisation explose véritablement, la part de l’industrie dans le PIB reste constante. Le commerce international n’est donc pas le principal coupable de la désindustrialisation.
Certains emplois continuent à être délocalisés vers les pays en développement où les salaires sont très faibles mais ce n’est pas le problème essentiel : malgré les délocalisations, la production industrielle continue d’augmenter. Par contre, l’emploi industriel ne cesse de reculer.
53/ En 40 ans, l’économie française a doublé sa production avec 4 % d'heures de travail en moins
Alors qu’il avait fallu cent quarante ans pour que la productivité soit multipliée par deux entre 1820 et 1960, elle a depuis été multipliée par cinq. La révolution industrielle du xixe siècle ou l’invention du travail à la chaîne au début du xxe siècle sont des gains de productivité presque ridicules au regard de ceux réalisés depuis quarante ans.
Selon l’INSEE, entre 1974 et 2013, l’économie française a doublé sa production (+ 113 %) avec 4 % d’heures de travail en moins.
Grâce à la multiplication des robots et des ordinateurs, la productivité du travail humain a progressé de façon inouïe. D’autant que, au même moment, se mettait en œuvre une seconde révolution : la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur. En quarante ans, en France, le nombre d’étudiants a presque triplé, passant de 800 000 en 1970 à quelque 2,3 millions aujourd’hui, et des dizaines de milliards d’euros sont investis chaque année dans la formation continue. Le phénomène est mondial mais la France est l’un des tout premiers pays du monde en termes de productivité.
54/ Le chômage de masse vient surtout de l’écart qui se creuse entre un moindre besoin de travail et l’augmentation de la population active
On produit beaucoup plus avec moins de travail. A priori, ce devrait être une bonne nouvelle puisqu’au assurer l’aspect matériel de nos vies nécessite beaucoup moins de temps qu’avant. Cependant, nous sommes plus nombreux pour réaliser ce travail. Ce n’est pas le cas dans tous les pays, mais en France, grâce au baby-boom et grâce au travail des femmes, la population active a bondi de plus de 30 % en quarante ans. Entre 1974 et 2013, la population active est ainsi passé de 22,4 à 28,62 millions de personnes. Un écart de 40 % s’est donc creusé entre l’offre et la demande de travail.
C’est cet écart qui explique vraiment d’où vient le chômage de masse et donc ce qu’il faudrait faire pour le réduire massivement. Cependant, la durée pour un temps plein a très peu baissé depuis trente ans. Les gains de productivité, au lieu de profiter à tous, conduisent toujours à un très haut niveau de chômage et de précarité.
55/ Si nous avions baissé notre temps de travail de 40 %, le chômage serait resté au niveau de 1970
La productivité très forte des salariés français explique en partie « l’exception française » qui voit notre pays souffrir d’un niveau de chômage à priori pire que plusieurs voisins. Les Anglais ou les Japonais ont une productivité nettement plus faible que la nôtre : selon Eurostat, si la productivité horaire est en moyenne de 100 pour l’Europe des 15, elle est de 118 en France et de 95 seulement en Grande-Bretagne. L’écart de productivité est de l’ordre de 20 % entre nos deux pays et le PIB par heure travaillée en France est également supérieur de 32 % à celui de l’Italie. Si un salarié français avait une productivité aussi « faible » qu’un travailleur britannique ou japonais, « il nous faudrait 5 millions de travailleurs en plus pour produire la même chose.
Mais surtout, si nous avions baissé notre temps de travail de 40 %, le chômage serait resté au niveau de 1970. Les réflexes de crispation plus que de changement ont plutôt aboutit à un non-sens absolu : les gains de productivité, fruits de l’effort de tous, débouchent sur un chômage massif pour certains et sur une stagnation des salaires et un stress croissant pour d’autres.
56/ Les fruits de la productivité n'ont pas été largement partagés
Une révolution de la productivité telle que nous la vivons devrait permettre à tous les citoyens de passer moins de temps au travail et d’avoir plus de temps pour faire tout ce qu’ils préfèrent. Le problème vient de la répartition des bénéfices de la révolution de la productivité : une grande partie de la population ne gagne plus assez d’argent pour pouvoir vivre correctement. Elle ne peut absolument pas profiter des « loisirs » qu’elle subit par le chômage.
Ce n’est pas seulement un problème pour les chômeurs. C’est un problème pour l’économie tout entière car cela signifie qu’une part croissante de la population n’a pas le pouvoir d’achat permettant d’entretenir l’économie. Si, dans leur ensemble, les consommateurs ne peuvent plus acheter les biens et services générés par la révolution de la productivité, l’économie va coincer.
Nous pouvons tirer les leçons de notre propre histoire : le précédent grand bond de productivité s’est produit entre 1870 et 1928, quand la première révolution industrielle a permis la production de masse, par des entreprises géantes bénéficiant d’énormes économies d’échelle, et une large dissémination des produits diffusés par l’intermédiaire d’un réseau ferroviaire en expansion.
Cette phase se termina brutalement par le krach de 1929, la concentration des revenus et des richesses étant devenue telle au sommet que la plupart des personnes ne pouvaient acheter tous ces nouveaux produits et services sans s’enfoncer dans l’endettement, ce qui a conduit à une bulle qui ne pouvait qu’éclater avec fracas. La semaine de travail de 5 jours-40 heures a aidé à partager le travail et à répartir les bénéfices, comme l’a fait aussi l’instauration d’un salaire minimum.
Mais depuis 2008, notre pays n’a pas pris des mesures similaires. La révolution de la productivité devrait rendre nos vies meilleures – et non pas nous rendre plus pauvres et précaires. Elle le fera quand nous aurons la volonté politique de partager les bénéfices qu’elle apporte.
57/ La gestion des gains de productivité par le partage du travail est au coeur de la dynamique économique
Pour les salariés, le chômage de masse se traduit surtout par un déséquilibre de la négociation salariale. Cela entraine une diminution de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Ce manque de revenu réduit le pouvoir d’achat des consommateurs et donc les débouchés des entreprises, ceux-ci sont alors artificiellement maintenus par un développement exponentiel du crédit puis un endettement généralisé débouchant sur des crises financières.
La manière dont la quantité de travail se distribue au sein de la population en âge de travailler, est un déterminant indirect de la demande, et de ce fait du dynamisme de l’économie. Autrement dit, le temps de travail rétroagit, via la demande, sur le niveau d’emploi.
La réduction du taux de chômage résultant de l’effet de partage, doit en effet se traduire par un accroissement de la demande, d’autant plus significatif que l’augmentation du revenu concerne une population dont la propension marginale à consommer est élevée, qui peut avoir en retour un effet positif sur l’activité des entreprises, qui permettra à son tour des créations d’emplois supplémentaires.
Si la baisse des salaires et la précarisation sont si peu efficaces sur l’emploi, c’est aussi parce qu’elles poussent les salariés concernés à demander d’abord des revenus et non du temps, ce qui entrave la réduction de la durée moyenne travaillée. La demande de temps libre se manifeste quand les salaires augmentent normalement, c’est-à-dire au même rythme que les gains de productivité.
La réduction du temps de travail va dans le sens de l’histoire
58/ Dans tous les pays occidentaux on travaille deux fois moins qu’il y a 100 ans
On ne saurait en déduire une quelconque fatalité quant à l’abaissement de la durée du travail, et encore moins à la prolongation indéfinie de cette tendance, mais il est indéniable que l’évolution de la France n’a fait jusqu’à présent que participer d’un mouvement global, prolongé et profond.
Au cours des cent dernières années, la durée moyenne du travail a été, en France comme dans tous les pays industrialisés, divisée par deux.
On estime qu’à la fin du 19ème siècle, la durée du travail dans l’industrie (qui était montée jusqu’à 4.000 heures par an vers 1840) avait rejoint celle constatée dans l’agriculture : un peu plus de 3.000 heures.[1]
La baisse du temps travaillé va se poursuivre pendant la première moitié du 20ème siècle, avec une accélération marquée en 1936 (semaine de 40 heures, congés payés).
Pendant la guerre et les années suivantes, la durée du travail augmente fortement. Le mouvement de réduction ne reprend vraiment que dans les années 60, notamment suite aux accords de Grenelle (1968) qui actent le retour aux quarante heures (disparition progressive des heures supplémentaires, avec compensation salariale).
Dans les années 70 monte progressivement la revendication des 35 heures avec l’objectif explicite de réduction du chômage, qui débouchera sur deux épisodes de réduction du temps de travail (1982 et 1997-2002).
Depuis, la durée moyenne du travail n’a pas connu de nouvelle réduction. Elle est estimée à 1.600 heures (pour l’ensemble des travailleurs : salariés et non-salariés, temps plein et temps partiel).[2]
Au cours du XXe siècle, le législateur a adapté la durée du travail au progrès technique et à des exigences sociales. Cependant, il n’y a pas d’automaticité entre les gains de productivité et la RTT. Tout dépend des luttes sociales et de leur traduction dans les décisions politiques.
59/ Un combat global de longue haleine
En 1801, une loi britannique, la première du genre, interdisait ainsi le travail des enfants de moins de 8 ans dans les usines. En France, ce n’est qu’en 1841 que ce fut le cas. Si la loi est intervenue assez tôt cependant pour limiter le temps de travail des enfants et des femmes, c’était parce qu’il s’agissait là, aux yeux de nos ancêtres, d’individus mineurs incapables de contracter en connaissance de cause avec les chefs d’entreprise.
Il faudra attendre beaucoup plus longtemps pour que soit reconnue la légitimité d’une régulation collective du temps de travail de tous les salariés. La tradition du 1er mai remonte ainsi à l’action des ouvriers de Chicago aux Etats-Unis, le 1er mai 1886, pour obtenir la journée de 8 heures.
En France, ce n’est qu’en 1919, dans l’immédiat après-Première Guerre mondiale et sous la menace de la révolution russe, que sera instituée cette journée de 8 heures, et donc à l’époque la semaine de 48 heures. En 1936, la semaine de 40 heures est votée, mais du fait de la guerre et de la période de reconstruction qui suivra, celle-ci ne deviendra effective que dans les années 1970. Quant aux congés payés, créés en 1936, ils passeront à quatre semaines en 1969, dans la foulée de mai 1968. Avant que la gauche, arrivée au pouvoir en 1981, n’accorde une 5e semaine de congés, tout en ramenant la durée hebdomadaire à 39 heures et en abaissant l’âge de départ en retraite à 60 ans. Leurs successeurs du gouvernement de Lionel Jospin mettront en oeuvre la semaine de 35 heures entre 1998 et 2000.
Si la réduction du temps de travail est une tendance séculaire, celle-ci a généralement eu pour motivation principale une amélioration de la condition salariale. C’est la montée du chômage dans les années 70 qui en fera une revendication au bénéfice des privés d’emploi (« travailler moins pour travailler tous »). Les années 80 et 90 verront les gouvernements créer des incitations à la réduction collective et négociée du temps de travail. Les lois Aubry, particulièrement volontaristes, auront un impact important en matière d’emploi qui n’empêchera pas qu’elles soient considérées comme un échec politique justifiant que l’ensemble des gouvernements qui se sont succédé depuis 2002 « détricotent les 35 heures ».
L’histoire de la réduction collective du temps de travail montre que le mouvement est d’ampleur jusqu’à la fin des années 70. Depuis une trentaine d’années la durée légale du temps de travail stagne.
60/ Einstein avait raison, il faut réduire le temps de travail
Albert Einstein écrivait au sujet de la crise de 1929 :
« Cette crise est singulièrement différente des crises précédentes, parce qu’elle dépend des circonstances radicalement nouvelles conditionnées par le fulgurant progrès des méthodes de production. Seule une fraction de la main-d’œuvre disponible devient indispensable. Or dans une économie libérale, cette évidence conduit forcément à un chômage élevé. Ce même progrès technique qui pourrait libérer les hommes d’une grande partie du travail nécessaire à leur vie, est le responsable de la catastrophe actuelle. Pour supprimer ces inconvénients, il faut, selon moi :
- Une diminution légale du temps de travail pour supprimer le chômage.
- Parallèlement, la fixation d’un salaire minimum pour garantir le pouvoir d’achat des masses en fonction des marchandises produites.
- Une vraie régulation des stocks de monnaie en circulation et du volume des crédits […].
- Une limitation du prix des marchandises qui, à cause des monopoles ou des cartels, se dérobent de fait aux lois de la libre concurrence. »
Einstein, à cette époque, n’était pas le seul à se prononcer pour une réduction du temps de travail. En 1926 déjà, l’entrepreneur américain Henry Ford avait plaidé pour un meilleur partage des gains de productivité : sa « semaine de 5 jours payés 6 » avait fait grand bruit. Mais une poignée d’entreprises seulement avaient mis en pratique son idée.
Le philosophe Bertrand Russell a également fait ce diagnostic en 1932 : « Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l’aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres ».
IV) Le partage du travail a déjà fait ses preuves, pourquoi s’en priver ?
Les 35 heures ont été la politique en faveur de l’emploi la plus efficace et la moins coûteuse qui ait été conduite depuis les années 1970
61/ Le débat public a zappé les évaluations objectives des 35 heures, qui attestent pourtant qu’aucune mesure n’a fait mieux pour lutter contre le chômage
Si la controverse autour des lois Aubry dure depuis 15 ans, c’est surtout parce que les évaluations sont souvent ignorées. Un exemple parmi tant d’autres pourrait être un article du 19 juillet 2016 publié sur Le Figaro.fr qui affirme que « pour ne créer que 350.000 emplois, Martine Aubry a mis les partenaires sociaux dans un corner, s’est fâchée avec les entreprises et a vidé les caisses de l’Etat. ».
Pour dépasser ces polémiques, il est essentiel de pouvoir repérer les faux débats et d’avoir une vision globale mais juste de l’effet des 35h sur les salariés, sur les entreprises et sur l’administration.
D’après le rapport parlementaire de 2014 dit « Romagnan », les lois Aubry, qui ont fait passer la durée légale du travail de 39 à 35 heures en 1998 et 2000, ont été « la politique la plus efficace et la moins coûteuse qui ait été conduite depuis les années 1970 »
Ce rapport ne fait que confirmer les conclusions d’un ensemble de travaux d’évaluation particulièrement important réalisé par la DARES et l’INSEE. Voir en particulier les travaux de l’INSEE « La réduction du temps de travail », dans Economie et Statistique n°376-377, juin 2005.
Pour rappel, la loi du 13 juin 1998 fixe la durée légale hebdomadaire à 35 heures au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et au 1er janvier 2002 pour les autres. Elle crée une aide financière pour les employeurs réduisant la durée du travail à 35 h ou en-deçà, par accord d’entreprise (ou par accord de branche pour les entreprises de moins de 50 salariés). La RTT doit être au moins de 10 % et s’accompagner de 6 % d’embauches (ou de licenciements évités). Le barème des aides est plus avantageux pour les entreprises s’engageant dès 1998.
La loi du 19 janvier 2000 confirme l’entrée en vigueur de la nouvelle durée légale du travail, fixe de nouvelles conditions d’aide aux entreprises réduisant le temps de travail à 35 h, et réduit les possibilités de recours aux heures supplémentaires tout en renchérissant leur coût (majoration, contingentement, repos compensateur).
Au final, le passage à 35 h (ou moins) a concerné 8 millions de salariés dans le secteur privé (un salarié sur deux). Selon l’Office Français des Conjonctures Economiques, 20 % des entreprises sont passées à 35 h dans le cadre d’un accord Aubry 1 ; 30 % en Aubry 2 ; 50 % sont restées à 39 h. C’est-à-dire que les 35h ont baissé en réalité de 5% le temps de travail des français, pas de 10%.
Les diverses évaluations (INSEE, Banque de France, OFCE) convergent vers une estimation des créations (ou sauvegardes) d’emplois dues à la réduction du temps de travail à 350 000 environ. Dans les entreprises ayant conclu un accord Aubry I, les effectifs ont augmenté de 6 à 7 %, dans celles ayant mis en œuvre la loi Aubry II, ils ont augmenté de 4 à 5 %.
62/ Les 35 heures ont contribué de façon importante à faire baisser le chômage de 10,3 à 7,5 % en cinq ans (1997 – 2002)
Entre 1997 et 2001, le chômage a diminué en France, dans des proportions inédites, en particulier entre 1999 et 2000, après l’entrée en vigueur de la loi Aubry I. On compte 350 000 chômeurs de moins en une année. C’était l’objectif principal des lois Aubry.
Cet objectif a été atteint, dans des proportions sans doute moindres que celles imaginées par les promoteurs de ces lois, mais néanmoins significatives tant elles sont manifestes dans les relevés statistiques de l’INSEE comme de l’ANPE.
Le taux de chômage calculé par l’INSEE selon les règles du Bureau International du Travail qui permettent des comparaisons internationales, passe de 11,8 % de la population active en mars 1998 à 8,8 % en mars 2001. Les relevés statistiques des demandeurs d’emploi de catégorie A de l’ANPE enregistrent une baisse de 600 000 du nombre d’inscrits entre 1999 et 2001.
Cette baisse ne correspond pas un à transfert des demandeurs d’emplois de catégorie A dans les autres catégories de chômeurs, qui admettent ceux qui accomplissent moins de 78 heures de travail dans le mois ou qui, au-delà, n’ont cependant qu’un emploi à temps très réduit. La baisse est identique quand on regroupe les trois catégories A, B et C.
De plus, le temps partiel qui avait progressé en continu depuis le début des années 1980 a commencé à décroître à partir de 1998. Selon une synthèse de la DARES d’octobre 2001 intitulée « Le temps partiel subi diminue depuis 1998 », en 2001, un salarié sur cinq passait à temps complet l’année suivante, une proportion en augmentation depuis 1999, cette proportion passant à un sur trois parmi les salariés ayant exprimé le souhait de passer à temps plein. Par ailleurs, la diminution du temps de travail permet l’accroissement des temps de travail des salariés à temps partiel, comme en témoigne la diminution d’une année sur l’autre du nombre de salariés souhaitant davantage.
Cette diminution du temps partiel peut s’expliquer par le fait qu’à partir de 1998, les entreprises ayant réduit leur temps de travail embauchent leurs nouveaux salariés plus fréquemment à temps plein que par le passé, comme l’atteste une autre étude de la DARES publiée en septembre 2002.
63/ Les 35 heures ont été économiquement efficaces : 350 000 emplois pour un coût net de 8 000 € par emploi créé ou sauvegardé
Le coût de la réduction du temps de travail pour les finances publiques a suscité autant de polémiques que son effet sur l’emploi. Le coût brut pour les finances publiques des allègements de charges mis en place par les lois Aubry puis par la loi Fillon (en lien avec l’unification du SMIC en 2003) est estimé entre 11 et 13 milliards par an.
Mais pour être pertinent, l’estimation du coût global de la réduction du temps de travail doit tenir compte des recettes de cotisations perçues sur la masse salariale des emplois créés (estimées à 3,4 milliards d’euros). Cela inclut des recettes de taxes perçues sur la consommation générée sur les revenus perçus, dépensés ou épargnés (estimées à 3,1 milliards d’euros) ; des économies d’assurance chômage et d’assistance versés aux bénéficiaires des emplois créés par les 35 heures, jusque-là chômeurs (estimées à 1 ,5 milliard d’euros). Par conséquent, pour un coût de 10,5 milliards de réduction de cotisations, le coût réel ex post s’élève à 2,5 milliards d’euros.
Avec un coût net de 2,5 milliards d’euros, le coût réel par emploi créé ou sauvegardé s’élève donc à 8 000 euros, largement en dessous des politiques classiques d’abaissement du coût du travail.
Cette estimation du cout net est issue des modèles de l’OFCE, prenant en compte une réduction de charges de 10,5 milliards d’euros et une réduction du temps de travail de deux heures devaient créer 320 000 emplois – soit un chiffre proche de celui de la DARES. La question qui se pose est donc la suivante : ce coût est-il trop élevé au regard des 320 000 emplois créés ? Il correspond en tout cas à l’économie que représenterait, pour les finances publiques, la suppression éventuelle des 35 heures : 2,5 milliards d’euros, donc, et non 10,5 milliards.
Le graphique suivant décrit ces mécanismes économiques et leur impact à la fois sur le compte des administrations publiques et sur celui des entreprises :
Impact macroéconomique des lois Aubry
Source : OFCE
64/ L’objectif de 700 000 créations d’emplois n’a été atteint qu’à moitié parce que la réduction du temps de travail réduction du temps de travail n’a été mise en œuvre que pour la moitié des salariés
350 000 emplois ont été créés sur la période 1996-2002 alors que les estimations ex ante tablaient sur 700 000 emplois. Deux facteurs expliquent cet écart : d’abord le champ, car les petites entreprises ont été moins concernées, et ensuite la baisse de la durée du travail, de moins grande ampleur que prévue initialement.
En partant d’une population de 13 millions de salariés dans les entreprises de plus de 20 personnes, une baisse du temps de travail hebdomadaire de 11,4 %, le réduisant de 39 heures à 35 heures, aurait pu se traduire par l’augmentation, dans la même proportion, de l’effectif de ces entreprises, à condition de ne pas autoriser d’heures supplémentaires et de baisser les salaires à due concurrence.
En maintenant les salaires nets mensuels et en y associant des allégements de cotisations, les promoteurs de la politique de réduction du temps de travail anticipaient, sur la base du nombre d’emplois créés dans les entreprises qui avaient eu recours aux incitations offertes par la loi Robien, que la loi Aubry I permettrait d’augmenter de 6 % l’effectif des entreprises qui réduiraient leur temps de travail d’au moins 10 %.
Le partage de ce temps pouvait potentiellement créer 780 000 emplois. En réalité, comme le note M. Éric Heyer de l’OFCE, la réduction en moyenne du temps de travail a été deux fois plus faible et c’est l’une des raisons qui explique l’ampleur presque deux fois plus faible des évaluations postérieures.
Si la réalité de l’ampleur des créations d’emplois de la période qui vit la mise en œuvre des 35 heures est incontestable, une controverse subsiste sur l’impact respectif de la croissance économique, de la réduction du temps de travail, et de la baisse relative du coût du travail sur ces créations d’emploi.
Deux méthodologies sont susceptibles d’y répondre : l’une s’appuie sur des données d’enquêtes auprès des entreprises (c’est le cas des travaux de la DARES, mais aussi de certains travaux réalisés notamment par des chercheurs de l’INSEE), l’autre sur la reconstitution à l’aide d’un modèle macroéconomique des effets des différents facteurs (c’est le cas de l’OFCE). Les arguments avancés pour contester les créations d’emplois des 35h apparaissent fragiles.
65/ Une étude macro-économique de l’OFCE extrapole la création de 320 000 emplois entre 1998 et 2001
Selon les modèles de l’OFCE, une réduction de charges de 10,5 milliards et une réduction du temps de travail de deux heures devaient créer 320 000 emplois – soit un chiffre proche de celui de la DARES –, avec, pour les finances publiques, un bénéfice ex post équivalant à 3,4 milliards de cotisations salariales supplémentaires. Sur le fait de savoir s’il y aurait eu plus de créations d’emplois avec des baisses de charges inconditionnelles, les simulations de l’OFCE concluent cependant à la création de seulement 124 000 emplois, soit presque trois fois moins, avec un coût identique pour les finances publiques.
Comme un peu moins de 50 % des entreprises ont signé un accord de type Aubry II, 20 % un accord de type Aubry I et donc 30 % sont restées à 39 heures, de sorte que l’OFCE évalue aujourd’hui l’impact des Lois Aubry autour de 320 000 à 350 000 emplois. Pour l’année 2000, l’OFCE montre que la réduction du temps de travail aurait contribué à 160 000 des 580 000 créations d’emplois de cette année « record ».
PART DES 35 HEURES DANS LES CRÉATIONS D’EMPLOIS ENTRE 1997 ET 2002 (en milliers)
Source : Ministère du Travail, INSEE, repris par M. Eric Heyer au cours de son audition pour le rapport parlementaire dit « Romagnan »
66/ Des études micro-économiques commandées par la DARES confirment la création de 350 000 emplois
En 2000, la DARES a mené une étude sur la base de l’enquête trimestrielle relative à l’activité et aux conditions d’emploi de la main-d’œuvre, dite » ACEMO « , réalisée auprès des entreprises de dix salariés et plus qui avaient eu recours au dispositif Robien. D’après cette enquête, la RTT avait eu, dans les deux années suivant sa mise en œuvre, un effet net sur la création d’emplois de 6 à 7 % ; une autre étude de la DARES, réalisée en 2002 par M. Bunel – qui s’était fondé sur l’enquête » Passages » – avait conclu à un effet net de 6,6 % pour la loi Aubry I, et de 4 % pour les entreprises du dispositif Aubry II qui avaient anticipé la loi.
Pour savoir quelle proportion de ces emplois créés est imputable aux lois Aubry, la DARES a exploité statistiquement les formulaires administratifs établis pour soumettre les accords négociés à l’approbation des services de l’État et obtenir, en contrepartie, les allègements de cotisations. Elle a également diligenté des enquêtes auprès des chefs d’entreprise pour connaître leur stratégie à l’égard de la réduction du temps de travail.
Enfin, l’étude de l’INSEE menée par MM. Crépon, Leclair et Roux en 2004 faisait apparaître des effets nets sur l’emploi de près de 5 % pour les entreprises visées par le dispositif Aubry II. Le fait que cette étude n’ait pas pris en compte la dynamique antérieure des effectifs dans les entreprises concernées explique sans doute la différence avec les chiffres de la DARES. Quelle que soit la source retenue, cependant, on constate un effet positif sur le niveau de l’emploi.
RÉSULTATS DES MODÈLES D’ÉTUDE DES EFFETS
DES LOIS DE RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL SUR L’EMPLOI
Source : Stéphane Jugnot, L’évaluation sous tension : l’exemple des effets sur l’emploi des « 35 heures », Revue de l’IRES, n° 77, 2013, p. 48
67/ Le recul du chômage a été très important malgré la forte hausse de la population active
Entre 1997 et 2002, la population française de 20 à 59 ans a augmenté de 1,5 million d’individus. Dans cette classe d’âge, tous, en particulier les plus jeunes, ne sont pas sur le marché du travail mais la part active de cette population, qui ne compte que ceux qui ont un emploi ou en cherchent un activement, même calculée par l’INSEE sur la classe plus large des 15-64 ans selon la définition du BIT, a augmenté elle aussi de plus de 1,1 million d’individus entre 1997 et 2002, passant de 25,5 à 26,6 millions.
Quand la population active augmente dans de telles proportions, pour maintenir le taux d’emploi, il faut déjà créer suffisamment d’emplois pour les nouveaux venus. C’est ce que mesure la population active occupée qui ne compte que les actifs qui ont un emploi.
Si les créations d’emplois nettes d’une année sur l’autre ne suffisent pas pour accueillir ce surcroît démographique d’actifs, le taux d’emploi baisse et le chômage augmente sans pour autant que des postes de travail aient été supprimés. Dans la situation démographique et économique de la France de la fin des années 1990, on pouvait s’attendre à ce qu’une croissance soutenue parvienne à stabiliser le taux de chômage mais soit insuffisante pour le faire baisser puisque, entre 1997 et 2002, la population active occupée a crû encore plus vite que la classe d’âge et que la population active.
Si le chômage a baissé quand même, c’est que les créations d’emplois ont été très importantes, surtout entre 1998 et 2001 et bien supérieures à celles qu’une croissance de 3 à 4 % provoquait auparavant dans l’économie française.
Les arguments avancés pour contester la réussite économique des 35 heures sont tous faux
68/ Les 35 heures n’ont jamais été responsables de la perte de compétitivité de notre économie dans les années 2000 et de la désindustrialisation qui en a résulté
La critique de la dégradation de la compétitivité qui résulterait des 35 heures ne repose pas en général sur une analyse détaillée de la compétitivité-prix, mais sur la concomitance entre la mise en place des Lois Aubry et la baisse de la part des exportations françaises dans le total des exportations de la zone euro depuis le début des années 2000, comme l’institut COE-Rexecode le répète depuis de nombreuses années.
En effet, le solde de la balance commerciale, positif jusqu’en 2003, se dégrade de manière continue après la mise en place des 35 heures. La part des exportations françaises dans celles de la zone euro ainsi diminue fortement. Pour les exportations de marchandises, le recul est de 4 %, passant de 16,9 % en 1998 à 12,5 % en 2013. 4 %, cela ne paraît pas beaucoup, mais c’est 4 % du total des exportations de marchandises européennes, soit un chiffre tout à fait considérable.
La question de l’impact des 35 heures sur le coût salarial et par conséquent sur la compétitivité-prix et/ou le taux de marge des entreprises est doublement cruciale. C’est, en effet l’argument principal des opposants aux 35 heures pour en contredire les effets favorables sur l’emploi. Et c’est, de la même façon l’argument évoqué pour expliquer la dégradation du solde extérieur de la France à partir de 2003.
Mais aucune donnée ne met en cause les 35 heures ! Au contraire ! La compétitivité coût s’est améliorée de 1997 à 2002 et ce n’est qu’à partir de 2004 que l’évolution s’inverse, notamment vis-à-vis de l’Allemagne. En matière de compétitivité coût il est donc tout à fait exact de dire que c’est au moment où les 35 heures sont détricotées, voire annulées, que la compétitivité s’affaisse.
La France est aussi le pays où, de 1997 à 2002, les coûts salariaux unitaires relatifs – salaires augmentés des charges et rapportés à la productivité – ont le plus baissé. La courbe s’inverse à partir de 2002, non en raison des 35 heures puisqu’elle suit la même évolution dans tous les pays européens- mais de la création de l’Euro.
Enfin, les adversaires des 35 heures continuent à en faire, quinze ans après, LA source de toutes nos difficultés économiques actuelles. Pourtant, entre 1997 et 2002, la France a connu une croissance particulièrement forte, plus élevée que les autres pays de la zone euro et plus riche en emplois. Un niveau jamais atteint même pendant les Trente Glorieuses !
69/ La forte croissance de 2,7% n’explique pas la progression exceptionnelle de l’emploi entre 1998 et 2002
Nombre d’hommes politiques et d’économistes contestent que les 35 heures ont joué un rôle important dans la création d’emploi, affirmant que la croissance explique la forte progression de l’emploi alors enregistrée : 2 000 000 en cinq ans. Cette critique ne tient pas, tant le rythme annuel de créations d’emplois constaté entre 1998 et 2002 est sans commune mesure avec celui de toute autre période de forte croissance.
Ces estimations des créations d’emploi, effectuées de manière très rigoureuse, ont été contestées par les contempteurs des lois Aubry. Pourtant, la comparaison entre taux de croissance, volume total des heures travaillées et emploi, donne à penser que l’effet emploi des 35 h est très supérieur aux 350 000 résultant des évaluations.
Le tableau ci-dessous compare les trois périodes de plus forte croissance économique des trente dernières années, en mettant en regard, le taux de croissance annuel moyen du PIB, le taux de croissance annuel moyen de la productivité, la progression annuelle moyenne du nombre d’heures travaillées, le nombre d’emplois équivalent temps plein correspondant à cette progression, l’augmentation réelle de l’emploi (toujours en moyenne annuelle) et la réduction du nombre de chômeurs (idem).
On constate que la période de plus forte augmentation du nombre d’emplois n’est pas celle où le taux de croissance a été le plus élevé (1985-1990), mais celle où a été réalisée une forte réduction de la durée moyenne du travail (1997-2002).
400 000 emplois ont été créés chaque année entre 1997 et 2002 avec une croissance moyenne de 2,7 %, contre 150 000 par an entre 1985 et 1990 avec une croissance moyenne de 3,1 %Sans RTT, il n’y en aurait eu probablement moins de 70 000 crées sur la période 1997-2002. Les « 35 h » ont eu, en outre, un effet plus durable, non mesuré, en servant de nouvelle norme pour la majorité des créations d’emplois réalisées dans les quinze dernières années : avec une durée moyenne du travail inférieure, la croissance est plus intense en emplois.
Périodes | PIB : Taux de croissance annuel moyen (%) | Productivité horaire apparente du travail :
Taux (%) de croissance annuel moyen |
Volume Total des Heures Travaillées : Progression annuelle | Augmentation annuelle de l’emploi (milliers) | |
En millions d’heures | En milliers d’ ETP | ||||
1985-1990 | 3,1 | 2,6 | 153,1 | 95,7 | 151,5 |
1997-2002 | 2,7 | 2,4 | 107,7 | 67,3 | 400,5 |
2004-2007 | 2,3 | 1,2 | 434,1 | 271,3 | 245,0 |
Tableau Les trois périodes de plus forte progression du PIB et les créations d’emplois associées
Source : Insee. (Pour calculer le nombre d’Equivalents Temps Plein, le nombre d’heures additionnelles a été divisé par 1 600 (équivalent annuel d’un temps plein à 35 h. Par exemple pour 1985-1990 : 153 100/1 600 = 95,7)
70/ Les 35 heures n’ont pas dégradé la compétitivité des entreprises, compte tenu des gains de productivité et de flexibilité qu’elles ont permis
Que les économistes soient ou non favorables à la réduction du temps de travail, il y a au moins un point de consensus entre eux : l’effet sur l’emploi de la réduction du temps de travail dépend de façon cruciale de son impact sur le coût du travail et par conséquent sur la compétitivité et sur les marges des entreprises.
Le fait que les entreprises n’aient vu ni leurs marges, ni leur compétitivité se dégrader en dépit des 35 heures payées 39 s’explique par trois facteurs.
Le premier est le gel des salaires, de dix-huit mois en moyenne aux termes des accords Aubry – et même un peu davantage en réalité. Le coût des salaires n’a en effet pas augmenté en raison d’une modération salariale qui peut être estimée à 1 % – le salaire horaire n’a en conséquence augmenté que de 3,5 à 4 %.
Le deuxième facteur, le plus important sans doute, est la réorganisation du travail au sein des entreprises, d’abord à travers l’annualisation du temps de travail ; il est sans doute abusif, de ce point de vue, d’appeler les lois Aubry » lois des 35 heures » puisque cette durée ne constitue pas une norme : beaucoup de salariés travaillent 1 600 heures par an, d’autres, au forfait jours, 210 jours par an. L’annualisation a représenté, pour les entreprises, un gain considérable en termes de flexibilité et de coût du travail, réduit par la limitation du recours aux heures supplémentaires ; c’est pourquoi, d’ailleurs, elle était une revendication du patronat dès avant les lois Aubry. La réorganisation du travail s’est aussi traduite par une augmentation de la productivité horaire. Les gains de productivité horaire ayant atteint 2 à 2,5 %, le salaire horaire a donc crû un peu plus rapidement que la productivité.
Le troisième facteur réside dans les aides de l’État, ciblées jusqu’à 1,7 SMIC et forfaitaires pour les plus hauts salaires : aux 6,5 milliards d’euros d’allégements de charges Juppé se sont ainsi ajoutés les 10,5 milliards consentis par la loi Aubry 2. Si l’on tient compte des allègements de charges, on peut considérer que le coût salarial rapporté aux évolutions de la productivité est resté stable.
Au final, la France n’a pas connu de dérive des coûts salariaux après la mise en place des 35 heures, ce qui prouve que les mesures de soutien et d’exonérations ont été bien calibrées. Certes, le coût du travail a baissé davantage en Allemagne qu’en France au cours des quinze dernières années, mais c’est à peu près le seul exemple que l’on puisse citer en Europe, et, malgré les 35 heures, le coût du travail a moins augmenté en France que dans les autres pays de l’Union. Les 35 heures n’ont pas entraîné de décalage particulier dans le partage de la valeur ajoutée, qui est resté extrêmement stable dans les entreprises.
71/ Le diagnostic partagé par les organisations patronales et syndicales sur la compétitivité indique qu’il n’y a pas eu de dérive des coûts salariaux unitaires
Dans leur document « Approche de la compétitivité française » (2011) les partenaires sociaux (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGPME, MEDEF, UPA) rappellent que le solde de la balance commerciale française s’est apprécié jusqu’à redevenir positif pendant la mise en œuvre des lois Aubry, avant de se dégrader à partir de 2002.
Le document décrit l’évolution des coûts salariaux comparativement à d’autres pays européen. Il fait apparaitre une évolution un peu plus rapide que la moyenne de la zone euro en moyenne sur la période. Cependant le document souligne que l’évolution du seul coût horaire ne suffit pas pour juger celle de la compétitivité coût, qui dépend également des gains de productivité. Il faut donc regarder l’évolution du coût salarial unitaire, c’est-à-dire le coût du travail par unité produite.
Ce qui détermine en effet la compétitivité d’une économie, c’est l’évolution relative des coûts et de la productivité. Or la productivité du travail a augmentée aussi rapidement que le coût salarial réel, de sorte que l’effet d’une hausse des salaires un peu plus rapide en France que dans la moyenne de la zone euro a été totalement compensé par des gains de productivité également plus rapide. Les données montrent donc que l’évolution les coûts salariaux unitaires a été comparable en France à l’ensemble de la zone euro.
Entre 2000 et 2010, la hausse du coût horaire de la main-d’œuvre dans le secteur marchand non agricole est donc, en France, de 37,4 % contre 31,2 % dans la zone euro (et 14,9 % en Allemagne). Si l’on prend en compte les gains de productivité, l’évolution du coût salarial unitaire (coût salarial par unité de valeur ajoutée produite) entre 2000 et 2009 s’établit à 20,3 % en France contre 19,4 % dans la zone euro (et 7 % en Allemagne).
Le document d’Approche de la compétitivité n’en dit pas davantage sur le coût horaire de la main d’œuvre, insistant par la suite surtout sur la compétitivité hors coût. Ce document analysant l’évolution moyenne de la compétitivité sur la période 2000-2010, ne permet pas de répondre à la question de savoir si les 35 heures sont responsables de la dégradation de la compétitivité.
Cette dégradation, si elle était avérée, aurait dû se produire au moment et dans les années qui ont immédiatement suivi la mise en œuvre des 35 heures et être en partie corrigé par la suite. Pour répondre à la question, il faut donc aller plus loin dans l’analyse notamment en examinant les évolutions annuelles des différentes mesures de la compétitivité. Et là, le résultat est surprenant : c’est l’inverse qui s’est produit !
La compétitivité coût s’est améliorée de 1997 à 2002 et ce n’est qu’à partir de 2004 que l’évolution s’inverse, notamment vis-à-vis de l’Allemagne. Pour mesurer précisément la compétitivité, il faut en effet comparer le coût unitaire salarial français à celui des pays vers lesquels la France exporte et construire ainsi un indice synthétique de ce cout unitaire relatif en tenant compte de la part de chacun des pays destinataires. C’est ce que fait la commission européenne. Le graphique ci-dessous indique l’évolution du cout salarial unitaire de plusieurs pays relativement à l’ensemble de la zone euro en base 100 en 1997.
De 1997 à 2002, le coût salarial unitaire relatif a baissé plus fortement en France qu’en Allemagne et que dans tous les autres pays de la zone euro. L’Allemagne n’est repassée devant qu’à partir de 2004 et l’écart s’est fortement accentué depuis. En matière de compétitivité coût il est donc tout à fait exact de dire que c’est au moment où les 35 heures sont détricotées, voire annulées, que la compétitivité s’affaisse.
Indicateurs de coûts unitaires relatifs montrant une augmentation de la compétitivité française (En %, en glissement annuel, 1997 = 100)
72/ La forte appréciation de l’euro est la principale raison de la perte de compétitivité subie par la France et les autres pays partageant cette monnaie, hormis l’Allemagne
Dans les années 2000, l’industrie française s’est fait lessiver par une dégradation de la compétitivité du coût horaire de la main d’œuvre française, comme celle des autres pays d’Europe à l’exception de l’Allemagne. Mais c’est une erreur que d’imputer cette dégradation aux 35 heures. L’économie italienne, qui n’a pas connu de réduction du temps de travail, a subi la même évolution. Le facteur principal, en la matière, c’est l’appréciation de l’euro par rapport au dollar.
Cette analyse, partagée par de nombreux économistes, était aussi celle retenue en 2011 par les partenaires sociaux (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGPME, MEDEF, UPA) dans leur document « Approche de la compétitivité française » : « Mesuré par rapport à l’ensemble des monnaies, le taux de change effectif de l’euro s’est apprécié de 30 % depuis 1999, année de sa création, alors que celui des autres grandes devises (dollar, sterling, yen) a baissé. L’appréciation de l’euro induit une détérioration de la compétitivité prix qui pénalise les entreprises à l’exportation, mais aussi sur leurs marchés intérieurs, du fait de la concurrence de biens et services produits dans d’autres monnaies que l’euro. »
L’euro qui valait 0,9 $ en 2000 était en effet monté à 1,6 $ en 2008. Résultat : l’heure de travail d’un Français coûtait 17 % de moins que celle d’un Américain en 2000, mais elle en valait 14 % de plus en 2010, selon le Bureau of Labor Statistics américain. Même chose vis-à-vis de la Corée du Sud : en 2000, l’heure de travail d’un Coréen coûtait 46 % de celle d’un Français ; en 2010, elle n’en coûtait plus que 41 %. Parce que le won coréen est indexé sur le dollar. Du fait de l’appréciation de l’euro, l’écart s’est donc creusé entre le coût du travail en France et celui des pays émergents.
Cette appréciation de l’euro a eu des incidences sur les exportations françaises à destination du reste du monde mais aussi sur les échanges commerciaux à l’intérieur de la zone parce que, tandis qu’elle se produisait, les économies d’Europe de l’Ouest intégrées à la zone euro ont été confrontées à l’arrivée sur le marché unique de la main-d’œuvre à faible coût d’Europe de l’Est.
Dans ce tableau des stratégies industrielles européennes d’adaptation à l’appréciation de l’euro dans les années 2000, c’est l’Allemagne plutôt que l’Italie ou la France qui fait figure d’exception, puisque c’est la seule économie industrielle d’Europe de l’Ouest à avoir tiré momentanément profit de cette appréciation et de l’extension du marché unique à l’Est.
En baissant unilatéralement le coût du travail, l’Allemagne a rendu son industrie d’autant plus compétitive sur le marché international que, dans le même temps, elle remplaçait ses fournisseurs français et italiens par des concurrents à moindre coût d’Europe de l’Est tout en conservant ses clients à l’Ouest. Ainsi, comme l’établit le document d’approche de la compétitivité par les partenaires sociaux, les coûts salariaux horaires français se sont appréciés de 20 % par rapports aux coûts allemands.
Dans ces ajustements continentaux de la répartition de la production et de la consommation de biens industriels, les lois françaises de réduction du temps de travail n’ont joué qu’un rôle mineur mais plutôt favorable au maintien de l’emploi, en raison de la flexibilité qu’elles ont introduite en droit du travail.
73/ Les comptes des entreprises n’ont pas été dégradés par les 35 heures
Contrairement à une idée souvent répandue, le taux de marge (Excédent brut d’exploitation rapporté à la valeur ajoutée) ne s’est pas dégradé pendant la période de mise en œuvre des 35 heures.
Évolution du taux de marge des sociétés non financières (Excédent brut d’exploitation (EBE) / valeur ajoutée brute (VA))
1996 | 1997 | 1998 | 1999 | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 |
31,8 | 32,5 | 33,6 | 32,7 | 32,7 | 32,8 | 32,2 | 32,4 | 32,5 | 32,4 | 32,7 | 33,5 |
Source : Site Internet de l’INSEE, Comptes nationaux base 2010 – http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&id=180
Comme le montre le graphique suivant, il est resté stable de 1998 à 2003 alors qu’il a diminué en Allemagne jusqu’en 2001 avant de remonter ensuite à 33,5 % en 2007.
Par ailleurs, l’OFCE a modélisé les flux macro-économique des compensations du coût du passage des 35 heures. Il en ressort un coût salarial global pour les entreprises de 12 milliards d’euros, compensé par 10,5 milliards d’euros d’aides de l’État.
Suite à l’appréciation de l’euro par rapport au dollar, très sensibles à la compétitivité-prix, les entreprises françaises ont par contre été contraintes à des efforts de marges à l’exportation plus importants que d’autres pour préserver leurs parts de marché, voire en limiter la perte. Cette contrainte explique sans doute en partie la quasi-stagnation des taux de marge des sociétés non financières au cours entre 2000 et 2009, qui contraste avec la remontée enregistrée dans d’autres pays européens.
La France, l’Italie, et l’Espagne ont connu une diminution de l’emploi et un report de la main-d’œuvre et de la production sur des services moins exposés à la concurrence étrangère, mais aussi à moindre valeur ajoutée. Les grandes entreprises industrielles ont tenté de redresser leurs marges en délocalisant leur production vers l’est ou en dehors de la zone euro et le sud, sacrifiant au passage leurs anciens fournisseurs qui composaient le tissu local des PME industrielles.
En France, cette réduction de l’offre a détruit le tissu industriel de nombreuses régions mais elle ne s’est pas nécessairement faite au détriment du résultat des grandes entreprises. Il apparaît, à l’étude des données de 2009, que les groupes français réalisent, via leurs filiales à l’étranger, un chiffre d’affaires de 961 milliards d’euros, soit le triple du montant total des exportations de biens de la France (346 milliards d’euros).
Encore une fois, la réduction du temps de travail n’a joué qu’un rôle mineur dans cette dynamique même si les gains de productivité ont donc à la fois permis d’éviter la hausse du coût salarial unitaire et la dégradation des marges des entreprises. Le débat sur le taux de marge devrait plutôt s’orienter vers qualité des biens produits.
En effet, la Stratégie de Lisbonne, qui a notamment été légitimée par les travaux de nombreux économistes, a participé à creuser les écarts économiques entre les pays membres. Cela est revenu en fait à renforcer et à développer les avantages comparatifs existants en allouant des ressources préférentielles (financements, investissements, etc.) à certains sentiers technologiques et à leur diversification. Pour faire bref, dans l’industrie : le haut de gamme en Allemagne, le moyen haut de gamme en France et le bas de gamme en Espagne. Le nord de l’Europe a renforcé ses avantages comparatifs dans l’industrie et les services exportables hautement qualifiés pendant que le Sud a privilégié les services non exportables (tourisme, hôtellerie, restauration, etc.) et la construction. La France et l’Italie oscillent de façon déconcertante entre les deux polarisations sans jamais les atteindre.
Comparaison des taux de marge de trois pays (EBE/VA, en %)
source : Eurostat ; Présenté par Éric Heyer
74/ Une baisse des charges sans partage du travail aurait créé seulement 124 00 emplois, soit presque trois fois moins avec un coût identique pour les finances publiques.
Les économistes les plus réticents à reconnaitre les effets sur l’emploi de la réduction du temps de travail trouvent une porte de sortie en admettant que si les lois Aubry ont créé des emplois, c’est en raison des allègements de cotisations.
Mais, d’une part, des allègements de cotisations ont été mis en place à différentes périodes : aucun de ces allègements seuls n’a produit des effets aussi significatifs sur l’emploi que les lois Aubry ou de Robien. D’autre part, les lois Aubry formaient un tout et cela n’a pas de sens d’en isoler les différentes composantes. C’était un ensemble complexe où réduction du temps de travail, allègement de cotisations et modération salariale permettaient de privilégier l’emploi plutôt que la hausse des rémunérations individuelles, de façon à ne compromettre ni la profitabilité des entreprises ni leur compétitivité.
L’OFCE a par ailleurs évalué ce qu’aurait donné une baisse des charges inconditionnelle, d’un coût identique pour les finances publiques. Dans cette hypothèse, les simulations de l’OFCE concluent à la création de seulement 124 00 emplois, soit presque trois fois moins avec un coût identique pour les finances publiques.
Remettre les pendules à l’heures sur les effets bénéfiques des lois Aubry pour les salariés et les entreprises
75/ La mise en œuvre des lois Aubry a fortement développé le dialogue social : 350 accords de branche et 62 000 accords d’entreprise ont été signés
La réforme des 35 heures « aura eu le mérite de donner un coup de fouet à la négociation de branche et d’entreprise. la « première loi était conçue comme un encouragement à la négociation collective ; la seconde devait ensuite tirer les conséquences de ces discussions engagées dans les branches et dans les entreprises Entre 1998 et 2003, et 62 000 accords d’entreprise 350 accords de branche ont ainsi été signés.
D’après la circulaire du 3 mars 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail (41), le renouveau du dialogue social a, de plus, particulièrement bénéficié aux petites entreprises : « la mise en œuvre de la première loi a permis de faire pénétrer le dialogue social, notamment par le biais du mandatement, dans des parties du monde de l’entreprise où il était peu présent. C’est ainsi qu’environ 40 % des accords d’entreprise conclus depuis la première loi l’ont été dans des entreprises de moins de 20 salariés, et près des deux tiers dans les entreprises de moins de 50 salariés. »
Cependant, la mise en place de réductions-réorganisations du temps de travail dans les petites entreprises couvertes par un accord de branche s’est trop souvent effectuée de manière unilatérale. Cela n’a pas suscité l’adhésion des salariés quand la réduction du temps de travail a été mise en place par l’employeur sans dialogue, sans projet.
Mais dans de nombreuses entreprises, la négociation sur la réduction du temps de travail s’est inscrite dans un projet de développement : nouveaux produits, nouveaux marchés, élargissement des horaires d’ouverture. Les embauches ont permis l’intégration des compétences nécessaires. De nouvelles organisations du travail ont été mises en place, substituant – au moins partiellement – une flexibilité interne (variation des horaires, polyvalence accrue) à la flexibilité externe (contrats précaires).
Les négociations ont pris en compte la situation des salariés à temps partiel, auxquels il a été souvent proposé un passage à temps plein. La question du temps de travail des cadres, jamais abordée auparavant, a conduit le plus souvent à la mise en place de forfaits avec attribution de jours de RTT.
En tout état de cause, quels que soient les débats sur le nombre exact d’accords signés ou les motivations qui y ont présidé, il apparaît donc incontestable que la réforme des 35 heures a donné lieu à un développement remarquable du dialogue social. La dynamique de négociation sur le temps de travail, enclenchée par les lois Aubry, semble toutefois s’être sensiblement ralentie depuis ces dernières années.
76/ Les 35 heures ont amélioré la productivité horaire industrielle et ont permis d’accroître la durée d’utilisation des équipements
Les 35 heures n’ont pas été une mauvaise affaire pour l’industrie, même si les entreprises de services ont connu quelques difficultés de mise en œuvre. L’introduction des 35 heures a en effet permis d’accroître la durée d’utilisation des équipements. Alors que, en 1996, ils étaient utilisés en moyenne 50 heures par semaine, ils l’étaient 55 heures en 2000, soit une augmentation de 10 %.
Des industries très capitalistiques ont donc été en mesure de produire 10 % de richesses en plus sans avoir besoin d’investir un euro de capital de plus. Il s’agissait d’un effet très important, qu’avaient anticipé les inspirateurs de la réduction du temps de travail. On peut bien dire que la mise en place des 35 heures a été une bonne chose pour la compétitivité industrielle de la France. :
L’incidence du temps de travail sur la productivité dépend cependant fortement du mode de production de chaque branche ou métier. Une ligne de production fortement ou entièrement robotisée peut par exemple tirer profit d’une réduction des périodes d’arrêts aux seuls besoins de la maintenance.
Le fait que la réduction du temps de travail soit associée à une amélioration de la productivité est conforme aux observations faites par le rapport d’expert de l’OIT sur les précédentes baisses du temps de travail dans l’industrie mondiale, qui indique que :
- Les résultats empiriques semblent indiquer, pour 18 industries manufacturières des États-Unis, que le recours aux heures supplémentaires abaisse la productivité moyenne : en moyenne, une augmentation de 10 pour cent des heures supplémentaires entraîne une diminution de 2,4 pour cent de la productivité mesurée pour la production horaire.
- Dans de nombreuses branches, il s’avère que les horaires de travail réduits sont associés à un taux de productivité horaire plus élevé par heure de travail… la hausse de la productivité horaire enregistrée entre 1995 et 2005 dans certaines branches aux États-Unis pourrait être imputable à la relative diminution des heures de travail.
Par ailleurs, une étude du BIT comparant plusieurs pays de l’OCDE a montré que la corrélation entre le nombre d’heures travaillées par année et par personne, d’une part, et la productivité du travail (mesurée par le PIB par heure travaillée), d’autre part, était fortement négative.
77/ La majorité des salariés ont constaté une amélioration de leur vie quotidienne
Un certain nombre d’enquêtes et de sondages d’opinion ont été réalisés sur les effets de la RTT depuis sa mise en œuvre. L’étude la plus détaillée et la plus précise est l’enquête intitulée « RTT et modes de vie » qui a été conduite en 2001 auprès d’un échantillon représentatif de plus de 1 600 salariés travaillant à temps complet et ayant connu une réduction du temps de travail depuis plus d’un an sous le régime de la loi de Robien ou de la première loi Aubry.
Cette enquête montre que 59 % des salariés ayant bénéficié d’une réduction du temps de travail considéraient qu’il y avait eu une amélioration de leur vie quotidienne (au travail et en dehors), 13 % une dégradation et 28 % aucun changement.
La satisfaction était plus forte lorsqu’il y avait eu consultation des salariés, octroi de jours de repos, accroissement des effectifs ou annulation de licenciements, moins élevée lorsque la réduction de la durée du travail était moins importante que prévu, qu’il y avait eu modification des pauses, recours à la modulation, baisse de salaire. La satisfaction était équivalente pour les hommes et les femmes, plus forte pour les cadres, plus faible pour les femmes non qualifiées.
La RTT est considérée comme un acquis social, bien que les salariés n’en aient pas tous bénéficié et que certains effets néfastes (intensification du travail, imprévisibilité des horaires de travail, forfait jours) aient été mis en évidence.
La modération salariale a concerné les trois quarts des salariés passés aux 35 h avant 2000 et la moitié de ceux qui y sont passés après. Le sentiment d’avoir subi une moindre progression salariale a contribué au mécontentement d’une partie des salariés.
Si les enquêtes menées dans les premières entreprises passées à 35 h ont montré une grande satisfaction des salariés, celle-ci va progressivement décroître, la réduction du temps de travail se mettant en place dans de moins bonnes conditions lorsqu’elle sera vécue par les employeurs comme une contrainte.
Un sondage CSA-L’Expansion réalisé en 2003 confirme l’évolution de l’opinion publique : Les français considèrent que les 35 h « améliorent la qualité de vie hors de l’entreprise » (67 % plutôt d’accord), mais « ont créé de nouvelles inégalités entre les salariés passés et ceux non passés aux 35 heures » (68 %). Ils ne sont que 32 % à penser qu’elles « permettent de lutter contre le chômage ».
Les salariés restent néanmoins, aujourd’hui, très majoritairement attachés au maintien des 35 h, contrairement à ce qui est constamment affirmé par ceux qui veulent « en sortir ». En leur accordant davantage de temps libre, la réduction du temps de travail a surtout eu des effets sur les conditions de vie en dehors du travail, dans l’ensemble des activités de la vie quotidienne.
Appréciation des 35 heures (en pourcentage)
D’une manière générale, les 35 heures… | Plutôt d’accord | Plutôt pas d’accord | Ne se prononcent pas |
… ont créé de nouvelles inégalités entre les salariés passés et ceux non passés aux 35 heures | 68 | 28 | 4 |
… améliorent la qualité de vie hors de l’entreprise | 67 | 30 | 3 |
… pénalisent les entreprises françaises | 61 | 34 | 5 |
… poussent des entreprises à s’installer à l’étranger | 57 | 38 | 5 |
… permettent de lutter contre le chômage | 32 | 67 | 1 |
Source : sondage CSA- L’Expansion réalisé par téléphone les 13 et 15 septembre 2003 (échantillon national représentatif de 1000 personnes âgées de 18 ans et plus).
78/ La RTT a dégager du temps libre sans remettre en cause la valeur accordée au travail
La RTT a trouvé une utilité sociale, qui n’était sans doute pas la priorité des décideurs politiques qui l’ont mise en œuvre, mais qui est correspond à un besoin de « temps pour soi », une prise de pouvoir sur son emploi du temps au sein de la vie quotidienne et non des semaines de vacances en plus ».
Ce besoin latent de temps n’a pas pu s’exprimer pleinement dans le débat public car la réduction du temps de travail est souvent associée abusivement à la paresse. Or la réduction du temps de travail ne signifie en rien paresse ou oisiveté : le temps ainsi récupéré peut-être utilisé pour se former, se cultiver, passer du temps en famille, etc…Aucune enquête n’a pu démontrer un effet de la réduction du temps de travail sur l’absentéisme ou la démotivation des personnels.
Loin d’être obnubilés par le temps libre, les Français témoignaient avant tout d’un attachement important au travail et d’un très fort investissement personnel dans la sphère professionnelle : selon les résultats de l’enquête World Values Survey menée entre 2008 et 2010 dans quarante-sept États, 67 % des Français déclaraient considérer le travail comme « très important » dans leur vie, cet attachement au travail s’exprimant de la même manière pour toutes les catégories de la population − actifs occupés, demandeurs d’emploi, personnes en situation de travail précaire ou même retraités. La France est donc classée parmi les dix pays les plus attentifs à la vie professionnelle sur les quarante-sept étudiés, devant l’Allemagne et le Royaume-Uni qui déclarent considérer le travail important respectivement à 48 et 45 %.
Par ailleurs, si la RTT a bien permis de dégager du temps libre, le revenu des ménages n’a pas connu d’augmentation proportionnelle à l’accroissement de ce temps libre dans le même temps. Au contraire, les 35 heures se sont parfois accompagnées d’une modération salariale, voire d’un gel des salaires pendant les deux ou trois années qui ont suivi leur mise en place. Or le revenu est l’un des principaux facteurs influant sur le niveau d’investissement financier des ménages dans le domaine des loisirs et de la culture.
Dès lors, la structure du temps libre n’a évolué qu’à la marge, les travailleurs à revenus modestes privilégiant pour la plupart des activités domestiques peu onéreuses, telles que le bricolage, le jardinage ou encore la lecture. Pour certains, notamment lorsque la réduction du temps de travail ne s’est pas accompagnée de recrutements dans l’entreprise, l’obligation de réaliser les mêmes tâches qu’auparavant, mais dans un temps réduit, a contribué à intensifier leurs conditions de travail. Dès lors, le temps libre dégagé par la RTT est avant tout mis à profit par ces travailleurs pour se reposer, contrariant tout investissement dans de nouvelles activités de loisirs.
Ce paradoxe apparent révèle qu’en réalité, les Français ont profité du temps libre supplémentaire qui leur était offert pour s’investir davantage dans les activités de loisirs qu’ils pratiquaient traditionnellement, qu’il s’agisse de la pratique d’un sport, d’une activité culturelle ou associative. La réduction du temps de travail n’a donc pas bouleversé la consommation de loisirs, mais elle a permis d’en approfondir la pratique, répondant de fait à une véritable demande sociale.
Manque de temps avant la RTT
et sentiment d’amélioration du quotidien après la RTT (en pourcentage)
Manque de temps (toujours ou souvent) | Amélioration de la vie quotidienne | ||
Femmes | Cadres | 75 | 73 |
Professions intermédiaires | 57 | 73 | |
Qualifiées | 43 | 60 | |
Non qualifiées | 33,5 | 40 | |
Femmes avec enfants petits | 57 | 73 | |
Femmes avec enfants de moins de douze ans | 56 | 71 | |
Hommes | Cadres | 56 | 65 |
Professions intermédiaires | 34 | 57 | |
Hommes qualifiés | 29 | 56 | |
Non qualifiés | 29 | 57 | |
Hommes avec enfants de moins de douze ans | 40 | 60 |
Source : enquête RTT et Modes de vie, DARES, 2001.
79/ La conciliation entre vie professionnelle et vie familiale constitue sans doute la principale avancée sociale des 35 heures
La RTT a non seulement permis aux parents qui regrettaient de manquer de temps de se consacrer à leurs enfants, mais elle a également suscité, dans une certaine mesure, un rééquilibrage de l’investissement familial entre les pères et les mères.
L’ambition d’améliorer l’articulation entre la vie de famille et la vie professionnelle n’était pourtant pas clairement affichée lors de la présentation de la première loi Aubry relative à la réduction du temps de travail, qui mettait davantage en avant les bénéfices de la réduction du temps de travail pour les entreprises et l’emploi.
Cette dimension sociétale était en revanche plus assumée par la loi Aubry II, qui prévoyait explicitement des dispositions favorables à l’égalité entre les femmes et les hommes, telles que l’harmonisation des horaires des services publics avec les besoins découlant de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, à l’article premier, ou l’obligation pour tout accord ou convention relative au temps de travail de prévoir des mesures visant à favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes.
Le temps libéré pendant la semaine grâce aux jours de RTT ou à la réduction de la durée de la journée de travail est désormais souvent consacré aux tâches domestiques ou administratives – courses, entretien du logement, démarches administratives. De ce fait, le temps libéré pendant les week-ends permet de consacrer plus de temps à la famille.
Dans l’enquête « RTT et modes de vie », 32 % des hommes et 38 % des femmes, jugeaient que la conciliation entre leur vie professionnelle et leur vie familiale avait été facilitée par la mise en œuvre de la réduction du temps de travail, le surplus de temps libre étant mis à profit pour partager des moments avec son conjoint, pour quatre salariés sur dix, ou ses enfants, pour près de deux salariés sur trois.
Plus de disponibilité, déclinée en demi-journées ou en journées de RTT, plus de souplesse dans la gestion de la vie quotidienne, permettant d’accompagner les enfants à l’école le matin, d’aller les chercher à la sortie de l’école ou de s’occuper d’un enfant malade : tels sont les effets mis en avant par les parents dans une enquête de la DARES réalisée en janvier 2003 (66)
Outre l’amélioration de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, qui a concerné tant les hommes que les femmes, l’une des autres avancées sociétales de la réduction du temps de travail réside certainement dans le rééquilibrage du « temps parental » opéré dans le sens d’une plus grande présence des pères auprès des enfants.
Grâce à l’instauration de la réduction du temps de travail, les pères de famille consacrent davantage de temps à s’occuper de leurs enfants. Cette tendance se vérifie dans toutes les catégories socioprofessionnelles, mais elle est encore plus marquée chez les ouvriers non qualifiés. Le temps libéré par la RTT a été utilisé assez massivement par les hommes pour passer du temps avec leur(s) enfant(s), d’autant plus que le volume de temps de travail de leur conjointe était élevé (temps plein) et fixe (sans RTT).
Si la RTT a favorisé l’investissement des hommes dans la sphère familiale, le partage des tâches domestiques n’a pas pour sa part connu de véritable rééquilibrage entre les hommes et les femmes.
Les progrès permis par la RTT en termes d’articulation entre vie familiale et vie professionnelle ne doivent donc pas faire oublier que le temps consacré aux activités domestiques demeure très inégalement réparti entre les hommes et les femmes, à plus forte raison chez les parents de jeunes enfants.
Or l’investissement des pères dans la vie familiale est un point de passage obligé pour l’égalité professionnelle : une grande partie de leur « avantage concurrentiel » par rapport aux femmes, sur le marché du travail, tient à leur plus grande disponibilité pour l’entreprise. Il en va de même pour l’administration. Une enquête réalisée à la demande de la Direction générale de l’administration et e la fonction publique (DGAFP) et le Centre d’études de l’emploi (CEE) montre que l’investissement des hommes dans le travail est permis par le sacrifice de leur vie professionnelle, consenti par les femmes pour s’occuper du foyer. De manière plus générale on peut faire l’hypothèse que le travail à temps plein des hommes (93 % des hommes occupés travaillent à temps plein) n’est possible que grâce au temps partiel des femmes.
La persistance d’un temps partiel très majoritairement féminin l’explique en partie. Occupés à 82 % par des femmes, les emplois à temps partiel se caractérisent en France par des durées relativement hautes (23,2 heures hebdomadaires) au regard de la moyenne européenne (20,2 heures en 2010 selon Eurostat). Pourtant, ils permettent rarement l’autonomie financière de ceux – ou celles, en l’occurrence – qui les occupent, et s’accompagnent régulièrement d’horaires atypiques (horaires périphériques, « mités », etc.). La moitié des salariés à temps partiel perçoit un salaire net inférieur à 850 euros par mois, et 16 % d’entre eux cumulent plusieurs emplois pour améliorer leurs revenus.
Or la période 1998-2002 a vu se réduire le nombre de contrats à temps partiels, soit parce que les salariés passaient plus facilement d’une année sur l’autre à temps plein, soit parce que, du fait de la réduction du temps de travail, les nouveaux contrats d’embauches étaient plus fréquemment des temps pleins.
La réduction du temps de travail constitue donc une réponse pertinente car elle contribue à répartir le travail plus équitablement, et à distribuer mécaniquement les heures partagées sur les contrats à temps partiels notamment.
La politique de réduction du temps de travail peut être poursuivie en tirant les leçons du passé
80/ Prendre acte que les améliorations sociétales permises par la RTT dépendent très largement des conditions de mise en œuvre dans les entreprises
Les critiques contre les 35 heures ne font état que des dégradations des conditions de travail alors qu’une même proportion des salariés a été satisfaite de la mesure. Dans l’enquête « réduction du temps de travail et modes de vie » réalisée par la DARES en 2001, concernant les conditions de travail, la moitié des salariés interrogés considéraient qu’il n’y avait pas eu de changement, une quarte amélioration, une quarte dégradation.
De plus les salariés n’ont pas pointé du doigt la réduction du temps de travail dans son ensemble mais plutôt à la manière dont l’entreprise a géré la mise en place des 35 heures. Les salariés ont ainsi constaté une dégradation quand la polyvalence était accrue (48 %), qu’il y avait moins de temps pour les mêmes tâches (42 %), que le stress avait augmenté (32 %).
A l’inverse, il avait plutôt une amélioration quand l’effectif avait augmenté dans l’unité de travail (50 % des cas) ou que le travail était mieux organisé (26 %).
Le jugement des salariés sur les conditions de travail dépendait fortement du respect ou non de l’accord et notamment du respect de l’obligation de création d’emplois et du calcul du temps de travail à mode de calcul constant dans la loi Aubry I.
Par exemple, l’intensification du travail est étroitement corrélée avec la réorganisation liée à la RTT ; elle est aussi plus modérée lorsque les effectifs s’accroissent dans l’unité où travaille le salarié, et plus accusée lorsque les effectifs stagnent ou diminuent. Outre qu’une amélioration de l’emploi dans l’unité de travail peut faire mieux accepter les conséquences de la RTT sur les conditions de travail, l’accroissement des effectifs semble aussi permettre de mieux gérer une nouvelle répartition de la charge de travail.
Le jugement des salariés sur les 35 heures dépend fortement des modalités de réduction qui ont été adoptées. L’enquête « RTT et Modes de vie » montre que les ouvriers travaillent plus souvent au sein d’entreprises ayant conclu des accords défensifs, entraînant de profonds bouleversements organisationnels pour ces salariés : accroissement de la polyvalence (pour 54 % d’entre eux), changements de procédures, ou encore prise en charge de nouvelles tâches. Dans les entreprises où les temps de pause ont été réduits pour gagner de l’argent, le gain en termes de RTT a été moindre et l’intensification du travail plus importante. Quant aux salariés dont le temps de travail était modulé, ils ont eu tendance à moins faire état d’une amélioration de leurs conditions de vie et de travail.
En revanche, les salariés ayant connu une RTT sous le régime de la loi Aubry I ou en Robien » offensif » se sont montrés les plus satisfaits. 62,1% des salariés qui ont été consultés au moment de la négociation de l’accord ont connu une amélioration de leur vie quotidienne (au travail et en dehors). Le niveau de satisfaction des salariés à l’égard de la RTT est d’ailleurs d’autant plus élevé que l’organisation du temps de travail est régulière et que leurs horaires de travail sont prévisibles, car cela simplifie l’organisation de la vie personnelle et de la vie professionnelle.
Au final, les dégradations des conditions de travail peuvent être évitées quand les entreprises compensent au maximum la réduction du temps de temps de travail par des créations d’emploi. De surcroit, l’objectif de réduction du chômage par le partage du travail ne peut fonctionner que si les entreprises compensent par des créations d’emploi.
Les créations d’emplois ont été bien plus importantes durant la Loi Aubry I qui imposait des contraintes de création d’emplois en contrepartie des aides aux entreprises (augmentation de 6 à 8 % en moyenne). La loi Aubry II a maintenu les subventions sans critères d’emploi et créé un effet de rente injuste et inefficace : résultat moins de 3 % d’augmentation des emplois en moyenne.
Bilan de la RTT et conditions de mise en œuvre (en pourcentage)
Amélioration | Dégradation | Sans changement | |
Salarié consulté | 62,1 | 11,5 | 26,4 |
Salarié non consulté | 50,3 | 16,7 | 33,0 |
Durée effective égale à la durée prévue | 62,6 | 10,8 | 26,6 |
Durée plus longue que la durée prévue dans l’accord | 49,3 | 18,7 | 32,0 |
Modification des pauses | 52,9 | 19,3 | 27,8 |
Pas d’accroissement des effectifs | 54,2 | 15,5 | 30,2 |
Suppressions d’emplois évitées | 66,2 | 13,7 | 19,8 |
Accroissement des effectifs | 63,8 | 10,2 | 26,1 |
Baisse du salaire | 50,6 | 24,3 | 25,1 |
RTT avec modulation | 53,6 | 17,0 | 29,4 |
Journées accordées de façon régulière | 70,7 | 9,5 | 19,7 |
Ensemble | 59,2 | 12,8 | 28,0 |
Source : enquête « RTT et Modes de vie », DARES, 2001.
81/ Mieux prendre en comptes les différents besoins et contraintes en temps de salariés, selon leur sexe, leur catégorie socioprofessionnelle et leur configuration familiale ou conjugale
Quand les salariés peuvent organiser leur temps de travail avec plus de souplesse, ils sont généralement satisfaits de la loi car ils l’utilisent pour dégager du temps supplémentaire pour leurs loisirs, leur vie de famille, pour « prendre leur temps ». Mais les salariés sont en revanche insatisfaits de la loi quand elle a introduit une flexibilité sur laquelle ils n’ont aucune prise.
Parmi les 28 % de salariés estimant que leurs conditions de travail s’étaient dégradées avec la mise en place des 35 heures, se trouvaient majoritairement « des ouvriers, des femmes et des personnes travaillant dans des entreprises de moins de cinquante salariés.
Or, les ouvriers sont généralement déjà soumis à des contraintes horaires fortes – variabilité des horaires, fixation et contrôle des horaires par l’employeur, etc. – ainsi qu’à de fortes contraintes organisationnelles – normes de production ou délais à respecter en une heure, objectifs quantifiés à respecter strictement…
Les résultats de l’enquête « Familles et employeurs » réalisée en 2004 et en 2005 ont confirmé que seuls la moitié des travailleurs ont des horaires « standards ». Selon cette enquête, un tiers des travailleurs ont des durées de travail longues (plus de trente-neuf heures par semaine) ou des horaires de travail atypiques (travail le soir, la nuit ou le week-end). Sans surprise, ces horaires atypiques concernent principalement des emplois non qualifiés, concentrés dans certains secteurs d’activité (grande distribution, aide à la personne…). Or les horaires atypiques s’avèrent particulièrement préjudiciables à la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Le passage aux 35 heures n’a donc pas entraîné systématiquement d’amélioration des conditions de vie pour ces catégories d’actifs, d’autant plus qu’il s’agit des métiers les plus soumis au temps partiel et donc non concernés par la RTT.
Les femmes qui ont des horaires atypiques sont contraintes de sortir de l’emploi à la naissance d’un enfant. La RTT a encore dégradé leurs conditions de travail parce qu’elle a rendu leurs horaires encore plus imprévisibles. Sans compter que les couples aux niveau de revenus et de diplômes les plus faibles cumulent les horaires atypiques qui les empêchent d’avoir des plages de temps communes et à la possibilité de socialiser dans leur temps libre.
Les cadres témoignent pour leur part d’une attitude ambivalente à l’égard de la réduction du temps de travail, car si elle a incontestablement amélioré leurs conditions de vie hors travail, le passage aux 35 heures a fortement dégradé, pour un certain nombre d’entre eux, leurs conditions de travail. D’un côté, le forfait jours s’est traduit pour eux « par une disponibilité permanente, qu’ils jugent néanmoins normale au regard de leur totale liberté pour organiser leur temps de travail ». Pour les cadres de haut niveau, le forfait jours représente également « un signe d’appartenance au management de l’entreprise ». Mais en contrepartie, cette entière disponibilité du cadre à l’égard de l’entreprise se traduit par « une grande porosité entre leur vie professionnelle et leur vie privée ».
Malgré l’intensification des conditions de travail, l’attitude des salariés à l’égard de la réduction du temps de travail est donc contrastée. Certes, ils sont soumis à de nouvelles contraintes, mais ils restent largement attachés à la RTT surtout quand elle se traduit par des jours de repos supplémentaires. Si la réduction du temps de travail s’est appliquée inégalement, les jours de repos supplémentaires dits de RTT sont « entrés dans les mœurs ». La possibilité d’obtenir des blocs de temps (demi-journées ou journées, jours de congé) mobilisables pour d’autres usages – notamment la famille – est liée à une forte satisfaction.
Davantage que par une réduction de la durée de travail quotidienne, la RTT s’est majoritairement traduite par l’attribution, à intervalle régulier, d’une journée ou d’une demi-journée de repos ou par des jours de congés supplémentaires. Les salariés faisant état d’un sentiment global d’amélioration de leurs conditions de vie sont précisément ceux qui ont pu bénéficier d’une demi-journée ou d’une journée à prendre régulièrement, ou de jours de congés supplémentaires.
Plusieurs conditions permettent d’améliorer ce niveau de satisfaction :
- En premier lieu, l’anticipation des effets de la RTT par le salarié joue un rôle important
- Le fait que le salarié ait eu avant la RTT le sentiment de manquer de temps, qu’il ait réfléchi à l’usage du temps potentiellement dégagé par la RTT, et que cet usage se soit traduit concrètement dans la réalité» favorise une satisfaction plus prononcée à l’égard de la RTT.
- Alors qu’à l’inverse, les salariés dont le temps de travail a été modulé sans octroi de jours supplémentaires se prononcent moins souvent en faveur de la réduction du temps de travail, ainsi que l’indique le tableau ci-après.
Au final, d’un côté, les salariés français attendent donc une plus grande individualisation des horaires et sont prêts à un surcroît de flexibilité dans leur temps de travail dès lors qu’ils participent à la fixation des plannings et des horaires individuels. De l’autre, la satisfaction liée à la réduction du temps de travail sur la vie quotidienne, en dehors du travail, reste étroitement liée à la faculté de maîtriser son temps. Au final, que l’articulation des contraintes collectives de l’organisation et des attentes individuelles des salariés est de plus en plus complexe, Parce que l’imbrication des sphères du travail et du hors-travail pose des problèmes nouveaux
82/ Pour éviter une nouvelle intensification du travail il faut d’avantage réguler la modulation salariale et mieux définir les activités relevant ou non du temps de travail
L’intensification des conditions de travail née de la réduction du temps de travail a pu être analysée, a posteriori, comme l’une des limites des 35 heures. Cette observation doit être tempérée, car plus d’un salarié sur deux n’a pas ressenti de dégradation de ses conditions de travail, un quart ayant vu au contraire celles-ci s’améliorer et de surcroît, les 35 heures ont été mises en œuvre dans une époque où la dégradation des conditions de travail semble au contraire s’être stabilisée comme l’a révélé l’enquête « Conditions de travail ».
En effet, les lois Aubry ont fait bien plus que réduire de manière purement quantitative la durée légale du travail. Elles ont ouvert l’éventail de l’aménagement du temps de travail, tant par l’annualisation que par le forfait annuel en jours. Ces dispositifs sont très largement utilisés dans les entreprises pour optimiser le nombre d’heures productives et réduire le nombre de celles jugées improductives.
Comme l’a mis en évidence une exploitation de l’enquête « RTT et Modes de vie », la dégradation des conditions de travail est particulièrement liée à la mise en œuvre de la modulation. Or, celle-ci « s’applique ainsi aux salariés dont les horaires étaient déjà imprévisibles, alors que la réduction sous la forme d’une demi-journée par semaine ou d’une journée tous les quinze jours concerne surtout des salariés dont l’organisation du temps de travail était déjà régulière.
Dans les entreprises où l’activité est régulière, les employeurs n’ont pas cherché à introduire des dispositifs de flexibilité des temps travaillés. Au contraire, dans les secteurs où les incertitudes et les fluctuations de la demande sont fortes, le renforcement de l’irrégularité et de l’imprévisibilité de l’organisation du temps de travail a été rendu en partie possible par une situation dégradée sur le marché du travail local.
Parmi les entreprises qui ont choisi d’apprécier le temps de travail sur l’année au lieu de la semaine, certaines ont retenu la formule d’une modulation d’horaire permettant de faire varier l’horaire entre 48 heures sur une semaine, voire 0 heure sur d’autres semaines, en fonction de la charge de travail.
La classe des « modulés » est caractérisée par les femmes faiblement qualifiées, ouvrières de l’agro-alimentaire, de l’industrie des biens de consommation, ou employées non qualifiées du commerce. Ainsi, plus de la moitié des femmes occupant un emploi non qualifié appartient à cette classe. Les ouvriers de la construction y sont aussi nombreux
Aux dires des salariés, si les 35 heures ne sont sans doute pas entièrement responsables de cette dégradation, elles y ont inéluctablement contribué, ainsi que le soulignait une étude de l’ANACT de juillet 2014 : « en tendance, [la réduction du temps de travail] contribue à une intensification du travail, dont toutes les enquêtes statistiques rendent compte, invitant à faire les liens entre les déterminants du travail et leurs effets sur la santé, en particulier l’accroissement des troubles musculo-squelettiques (TMS) et des risques psychosociaux (RPS)».
Selon cette enquête, qui conduit à nuancer le propos précédent, « entre 2005 et 2013, les contraintes sur le rythme de travail se sont accrues chez les salariés. La stabilisation de l’intensité du travail observée entre les enquêtes de 1998 et 2005 apparaît ainsi comme une parenthèse dans une trajectoire ascendante entamée à la fin des années 1980 ». Cette nouvelle hausse semble liée au rythme accru des changements.
Enfin, il faut tout de même souligner que ces conséquences découlent d’une application de la loi peu fidèle à son esprit initial. Lorsque les temps de pause ou d’échange ont été recalculés au lieu d’être sanctuarisés, la réduction du temps de travail a pu, en effet, conduire à ce qu’ « un quart des salariés déclarent que les relations avec leurs collègues se sont dégradées car ils n’ont plus le temps de discuter ou d’échanger des informations » (DARES).
L’introduction de formes d’aménagement du temps de travail plus flexibles est fortement liée à un rapport de force défavorable aux salariés. Les employeurs peuvent faire plus facilement accepter aux salariés davantage de flexibilité des rythmes et des horaires de travail dans un contexte de fort chômage ou lorsque la préservation des effectifs de l’entreprise est en jeu. Les salariés non qualifiés pour lesquels la menace du chômage est forte, sont particulièrement concernés.
Dans cette perspective, les futures négociations ou dispositions législatives relatives au temps de travail devront s’efforcer de répondre à ce double enjeu de l’organisation du travail et de l’amélioration des conditions de travail. Il faut notamment interdire la redéfinition des activités relevant ou non du temps de travail (transports, pauses, habillage, douches…). dans les négociations en entreprises et mieux réguler la modulation salariale.
83/ Il faut aujourd’hui intégrer la question du temps de travail dans une logique globale d’amélioration des conditions de travail et de la santé des travailleurs
L’amélioration des conditions de travail apparaît à certains égards comme le « parent pauvre » de la réflexion relative à la politique du temps de travail. D’abord, il convient de rappeler, que la question de l’amélioration des conditions de travail n’a pas été intégrée, à de rares exceptions près, ni aux négociations relatives à la réduction du temps de travail, ni aux travaux préparatoires aux lois Aubry.
Les 35 heures ne sont pas le résultat d’un mouvement social en faveur de l’amélioration des conditions de travail : la réduction du temps de travail visait à libérer du temps libre pour les salariés, à partager le travail dans un contexte de chômage structurel élevé, et à augmenter la compétitivité des entreprises en assouplissant les conditions d’aménagement du temps de travail – horaires, flexibilité, productivité
Néanmoins, il importe de bien remettre les effets des 35 heures en perspective dans l’histoire longue des conditions de travail ces trente dernières années : entre 2005 et 2013, selon l’enquête « Conditions de travail », les contraintes sur le rythme de travail se sont accrues chez les salariés. La stabilisation de l’intensité du travail observée entre les enquêtes de 1998 et 2005 apparaît ainsi comme une parenthèse dans une trajectoire ascendante entamée à la fin des années 1980. Cette nouvelle hausse semble liée au rythme accru des changements organisationnels et à la plus grande insécurité de l’emploi ressentie par les salariés.
La prise en considération des résultats de l’enquête « RTT et modes de vie », de l’enquête Sumer et des différentes vagues de l’enquête « Conditions de travail » conduit à un bilan nuancé. Dans les entreprises pionnières où les négociations ont permis de réorganiser le travail et d’embaucher, mais aussi où le soutien obtenu des collègues a été permanent, la réduction du temps de travail n’a pas entraîné de dégradation des conditions de travail, bien au contraire. En revanche, dans certains secteurs, où la RTT a été menée de manière défensive pour éviter des licenciements, ou lorsque les entreprises ont procédé sans aide, en réduisant le temps de travail par le biais de la suppression de pauses et sans nouvelles embauches, l’intensification a pu être douloureusement ressentie.
Ce n’est plus tant la question des 35 heures qui est posée dans les entreprises que celle de l’aménagement du temps de travail et des nouvelles règles d’organisation du travail. Parce que le temps dans toutes ses composantes (durée, horaires, rythmes, variabilité; prévisibilité, degré d’autonomie dans son organisation, …) reste une composante essentielle des situations de travail et donc un levier d’action en faveur de la qualité de vie au travail. Le temps de travail peut avoir des conséquences fortes sur la santé et le bien-être des salariés (à travers la régulation de la charge de travail, la prise en compte de !a chronobiologie, les contraintes posées sur la vie familiale et sociale, …).
Il ne faut plus appréhender séparément les sujets et multiplier les approches cloisonnées en matière de conditions de travail, mais de redonner une cohérence globale en adoptant une approche intégrée. L’avantage d’une telle méthode est de ne pas remettre en cause les politiques publiques sectorielles volontaristes, tout en permettant aux entreprises d’organiser la façon dont elles vont y répondre en les articulant de manière réfléchie selon leur taille, leur marché et leur contexte.
Dans cette perspective, les règles relatives au temps de travail ne seraient donc qu’un sous-ensemble de la politique d’amélioration des conditions de travail. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles doivent être négligées, car des réponses doivent être trouvées pour endiguer la montée des risques psychosociaux et la détérioration des conditions de travail.
Transformation des conditions de travail (en pourcentage)
Pourcentage de salariés concernés | Évolution des conditions de travail | |||
Amélioration | Sans changement | Dégradation | ||
Ensemble | 100 | 26,4 | 45,6 | 28,0 |
Polyvalence et intensification du travail tendent plutôt à dégrader les conditions de travail | ||||
Exigence de polyvalence accrue | 48,4 | 27,1 | 37,4 | 35,5 |
A moins de temps pour les mêmes tâches | 41,9 | 20,7 | 34,9 | 44,4 |
Plus stressé dans son travail | 31,7 | 11,8 | 24,5 | 63,7 |
Nouvelles tâches en plus | 22,5 | 20,9 | 32,2 | 46,9 |
Travail moins soigné | 10,1 | 10,5 | 21,6 | 67,9 |
… mais elles peuvent aussi être vécue positivement par certains salariés | ||||
S’organise mieux dans son travail | 25,6 | 42,4 | 35,0 | 22,6 |
A plus d’autonomie dans son travail | 15,8 | 39,8 | 33,2 | 27,0 |
Le bilan est plus positif lorsque la RTT est associée à un accroissement des effectifs | ||||
Effectifs en hausse dans l’unité de travail | 50,4 | 33,0 | 43,4 | 23,6 |
Source : RTT et Modes de vie, DARES
84/ La réduction du temps de travail s’est déroulée avec plus de difficultés au sein des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME)
L’application des 35h n’a pas concerné les PME de moins de 20 salariés (29% de l’emploi en France) où les heures supplémentaires sont comptabilisées seulement à partir de 37 heures avec un taux de majoration de seulement 10%.
Dans le bilan de la réforme du temps de travail, on ne saurait oublier qu’une partie des salariés français est restée en dehors de ce mouvement en ne bénéficiant pas de la RTT. Il n’est cependant pas aujourd’hui possible de reconstituer ce que le passage aux 35 heures dans les petites entreprises aurait eu comme effets, que ce soit en termes de créations d’emplois ou de réorganisation du travail.
La principale innovation introduite par la première loi Aubry I a été de permettre aux entreprises de moins de cinquante salariés de bénéficier de l’aide incitative par accès direct, c’est à dire un accord de réduction du temps de travail signé au niveau de la branche (et prévoyant un recourt à cette aide). C’est une piste à ré-ouvrir.
85/ Dans la fonction publique d’État, la réduction du temps de travail a été mise en œuvre sans vision stratégique sur l’évolution du service public
Dans la fonction publique d’État, la réduction du temps de travail a été mise en œuvre sans vision stratégique sur l’évolution du service public, sans négociation ni création d’emploi. Les 35 heures se sont faites à effectifs constants sous la pression du dogme de la réduction du nombre des fonctionnaires : elles auraient dû conduire au recrutement de 200 000 fonctionnaires. Les conditions d’application dans les collectivités locales sont mal connues, les embauches non comptabilisées. L’impact sur la qualité des services publics (d’Etat ou locaux) n’a pas été évalué.
Les conséquences de la réduction du temps de travail sur l’organisation du travail à l’hôpital ont été particulièrement dénoncées. Malgré un plan prévisionnel de recrutement prévoyant la création de 45 000 postes non-médicaux et de 3 500 postes médicaux au niveau national, les personnels hospitaliers regrettent l’insuffisance de ces créations d’emplois, estimant qu’elle a provoqué une intensification de leurs conditions de travail, une impossibilité de prendre les jours réduction du temps de travail et des perturbations du fonctionnement. Des difficultés similaires ont été rencontrées dans la police, où des millions d’heures de travail à récupérer sont en souffrance.
Ce sentiment de dégradation des conditions de travail à l’hôpital ne diminue pas, mais il n’a pas non plus augmenté au cours de la période récente. Une publication de la DARES a ainsi souligné que l’intensité du travail est plus forte dans la fonction publique hospitalière que dans les autres fonctions publiques ou dans l’ensemble de l’économie, mais qu’elle est restée stable entre 2005 et 2013, la hausse de la pression datant du début des années 2000.
86/ Ne plus raisonner qu’à l'échelle hebdomadaire mais aussi tout au long de la vie professionnelle
La durée du travail n’est pas un problème économique, financier ou comptable. C’est d’abord une question sociale et politique, voire anthropologique. Nous pourrions parfaitement ne travailler désormais que 30 heures par semaine. Nous savons financer une telle réduction du temps de travail. Nous l’avons déjà fait pour le passage aux 35 heures grâce aux gains de productivité, aux exonérations de cotisations sociales et à la modération salariale.
Mais on ne peut pas se contenter d’appliquer une règle de trois : on diminue d’autant d’heures le travail de X personnes, on engage donc automatiquement X personnes. La question doit être posée dans toute son acuité, c’est-à-dire notamment en prenant en compte les facteurs qui ont, historiquement, limité les effets bénéfiques qu’il était possible d’attendre de la RTT et ceux qui ont induit une série d’effets dommageables – afin justement de ne pas reproduire ce qui peut, aujourd’hui, nous apparaître comme des erreurs.
Le débat ne peut pas se réduire au curseur légal de la durée du travail. ll doit aborder les questions du dialogue social et de l’organisation du travail, y compris la santé et les conditions de travail.
Il faut également ouvrir le débat dans la perspective de bâtir un nouveau contrat social : nous devons un certain nombre d’heures à la collectivité car il est nécessaire d’assurer un flux de richesses, mais il faut aussi partir du libre choix des salariés. Chacun doit pouvoir décider à quel moment il veut travailler plus ou moins.
Une politique de réduction de la durée du travail serait, évidemment, d’autant plus efficace qu’elle serait de grande ampleur et concernerait le plus grand nombre de personnes. Cependant, d’autres formes de RTT peuvent être envisagées, prenant en compte l’attente des salariés à l’égard d’une meilleure articulation et d’un meilleur équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, par exemple à partir d’un calcul du temps travaillé sur plusieurs années. Les jours de congés ainsi épargnés pourraient alors permettre aux salariés de prendre des congés plus longs pour motifs personnels (naissance d’enfants, périodes sabbatiques, parents âgés à prendre en charge), ou être utilisés à des fins professionnelles (allégement de fin de carrière, congés pour formation, gestion de transitions professionnelles).
Le temps de travail est rarement envisagé en France sur une période longue correspondant à la durée de la vie professionnelle. Sachant que les métiers des décennies à venir nécessiteront de plus en plus souvent que les salariés se réorientent et se forment plusieurs fois au cours de leur carrière, il semble important de ménager à chacun du temps pour y parvenir. Il y a là un enjeu d’épanouissement personnel pour les salariés, mais aussi de compétitivité pour notre économie nationale. Pour ce faire, il serait intéressant de commencer par élargir les dispositifs existants et d’offrir un cadre sécurisé aux salariés qui le mettent en œuvre : droit au retour après congés ou formation, maintien des droits à l’indemnisation du chômage, etc.
Parmi les promoteurs de la réduction du temps de travail dans l’Hexagone, l’idée d’une loi inspirée des lois Robien et Aubry 1 prévoyant des aides publiques conditionnées aux créations d’emplois fait consensus. Quant aux modalités, il y a certes des partisans de la semaine de 32 heures ou de quatre jours, dont l’avantage est d’avoir un effet immédiat et sensible sur l’emploi, mais d’autres voix prônent la création d’une diversité de cadres juridiques attractifs puis de laisser les partenaires sociaux s’en emparer.