Reconsidérer la durée du travail dans le déroulement de la vie


Travailler pour vivre et non vivre pour travailler !

Rédigé par Carlos Pluvinage

Introduction – Le difficile équilibre pour répartir toutes les taches d’une journée

Dans la plupart des pays occidentaux, toutes les activités de la vie s’organisent autour du travail. Ce dernier qui occupe en moyenne 40 % de notre temps hebdomadaire disponible est l’élément structurant de l’usage de nos temps dans nos sociétés.  On constate de ce point de vue des évolutions importantes au cours des dernières décennies.

Les enquêtes statistiques montrent une baisse tendancielle du temps de travail depuis les années 1950. Cette diminution s’est réalisée en plusieurs étapes et les dernières années sont plutôt caractérisées par une stabilisation du nombre d’heures travaillées dans les principaux pays de l’OCDE. La dernière grande mesure concernant le temps de travail en France (passage aux 35 heures) a été adoptée en 2002. 

Cependant, si le nombre d’heures travaillées diminue, la flexibilité des horaires de travail tend elle à augmenter. La proportion d’actifs travaillant en horaires décalés, le matin, le soir ou le week-end croit continûment. A cela s’ajoute des inégalités entre les catégories socio-professionnelles et les sexes. Les cadres travaillent le plus en volume horaire mais bénéficient d’une plus grande maîtrise de leur emploi du temps, tandis que les femmes sont toujours plus exposées aux horaires atypiques et disposent de moins de temps libre que les hommes.

La crise sanitaire a bouleversé notre rapport au travail et au temps

Certains ont vu leur mode de vie considérablement ralentir du fait de l’impossibilité de réaliser leur profession à distance. Pour d’autres, le rythme de la vie professionnelle a pu s’intensifier et la montée en puissance du télétravail a été plus ou moins bien vécu. Pour ces individus, professions intermédiaires et cadres essentiellement, la frontière avec la vie privée a été fortement réduite et les sas que représentaient les temps de transport ont quasiment disparu.

Les difficultés de conciliation des temps professionnels et personnels ont pu se réduire grâce au télétravail mais le recouvrement de ces temps s’est plutôt accentué générant chez certains pression et dégradation des conditions de travail… comme de vie familiale. 

Cette crise peut être le moment de repenser l’articulation des temps sociaux et de bâtir un « après » plus soutenable du point de vue emploi du temps.

Compte tenu de la centralité du temps de travail, repenser l’articulation des temps sociaux nécessite l’intervention de l’État or si l’État est très présent et encadre les durées légales du travail, son rôle est nettement plus limité en ce qui concerne les autres moments de la journée. 

L’Etat pourrait inclure ces autres moments dans ses politiques publiques. Mais plus important encore, il pourrait mieux encadrer le développement des horaires atypiques et du télétravail.

La nécessité d’organiser des respirations dans les carrières et de modifier l’articulation entre les différents temps du cycle de vie

La nécessité d’un nouveau paradigme

Le constat est fait que nos sociétés sont dominées par le travail rémunéré. Ce dernier est central dans le parcours de vie des individus et empiète sur le temps accordé aux soins, à la formation, à la vie de la cité, etc. En outre, l’organisation du temps est genrée et creuse les inégalités entre hommes et femmes. A terme, cette situation est insoutenable et une réforme semble indispensable. 

Une étude  commandée par le ministère allemand du travail, propose une alternative visant à remplacer le parcours dit «normal» traditionnel des individus composé de trois périodes   (temps de formation, activités professionnelle et familiale puis retraite) par un parcours dit« respirant ». Ce parcours pourrait inclure au cours de la vie des phases alternatives au travail pour des activités  (de soin, de bénévolat et de formation continue). Il prendrait la forme d’un crédit temps d’une durée de 9 ans dont les modalités seraient les mêmes pour tous. Les phases de soins privés, de bénévolat et de formation continue donneraient lieu à des compensations financières différenciées. La mise en place d’un tel système marquerait l’avènement d’une nouvelle relation au temps mais nécessiterait une réorganisation profonde des circuits de redistribution au sein de la société.

Toute activité pour un bien commun devait être payée en argent ou crédit temps

La période actuelle avec le télétravail et tous les commentaires des médias au quotidien mettent en lumière combien nous sommes obnubilés et hyper centrés sur le temps rémunéré de la vie .

On voit à quel point tout emploi lié aux soins, aux loisirs, aux activités de bénévolat bien que fondamental à la vie devient secondaire et peu ou mal rémunéré.Il faut donc créer une flexibilité du temps à passer dans les différentes étapes de la vie et donc des rémunérations  variables afférentes à ces diverses étapes.Ce qui conduit donc à revoir l’ensemble du financement d’une carrière afin que les rémunérations soient variables selon les besoins du moment.

Création d’une banque du temps à l’égal d’un relevé de carrière

Une approche de solutions montre combien cela implique une remise en cause générale de toutes les politiques (privées/industrielles/gouvernementales/sociétales) actuelles.

Toutefois  des pistes existent déjà avec le CPA (compte personnel d’activité) ou le CPF (compte personnel de formation) il existe aussi un CET ( Compte Épargne Temps)

L’obstacle majeur dans cette remise en cause réside dans la confiance d’un système pour toute la durée de la vie.

Le CPA (créé en 2015) est un premier pas vers une banque des temps qui devait faciliter la mobilisation de temps pour l’engagement citoyen, la formation professionnelle, l’activité entrepreneuriale, etc. Il se résume pourtant aujourd’hui presque exclusivement à la formation professionnelle et au CPF. 

Une extension du dispositif actuel pourrait conduire à la création d’un compte universel regroupant les nombreux outils existant (CPA, CPF, CET). Au-delà des orientations originelles du CPA, des besoins additionnels pourraient être couverts : volonté de fonder une famille, aider des proches en perte d’autonomie, passage à mi-temps, retraite progressive, etc.

A ce niveau de réflexion  le compte épargne temps (CET) serait une autre manière d’aménager le temps travail des individus, mais n’est ouvert qu’aux salariés. En outre, il est insuffisamment mobilisé pour permettre des respirations au coup par coup tout au long de la carrière des individus. Il est surtout utilisé en fin de carrière pour anticiper le départ à la retraite, et non pas pour aménager le temps de travail hebdomadaire ou la mise en place de temps partiels. 

Les salariés aspirent pourtant à avoir plus de liberté dans l’organisation de leur temps au quotidien, pour gérer des urgences ou des imprévus.

La CFDT, confirme l’intérêt des Français pour une meilleure répartition entre temps libre et temps de travail. Le syndicat a commandé deux grandes enquêtes en 2017 et 2018 (Parlons travail et Parlons retraites). Ces études montrent que 70 % des répondants sont en faveur d’un temps libre étalé sur l’ensemble de la vie plutôt que concentré en fin de vie. Ce constat est valable quel que soit l’âge, le sexe ou la CSP.

Concernant les modalités pratiques d’une banque des temps, ou plutôt d’un compte épargne temps universel.  

Le dispositif pourrait se matérialiser via un compte personnel attaché à l’individu, opposable à l’employeur et transférable d’un statut à un autre, d’une entreprise à une autre. Ce compte personnel pourrait être utilisé pour du temps de repos, du temps de soin, du temps dédié au bien commun :éducation, soutien social, du temps de formation, etc. sans se substituer aux différents congés existants. 

La mise en place d’un tel système passerait forcément par une négociation avec les partenaires sociaux et la conclusion d’un accord collectif. 

Une sensibilisation de la population et un montage économique clair permettrait de garantir financièrement les droits acquis dans le temps. 

Conclusion

Avec l’arrivée des robots, de l’Intelligence artificielle et de l’informatique, le besoin de présence humaine au travail va encore se réduire dans les prochaines années. En parallèle l’espérance de vie s’allongeant le temps disponible non travaillé va aller croissant.

A titre de comparaison : En 1950 on pouvait espérer profiter d’une retraite d’environ 4-5 ans après avoir travaillé 76.000 h alors qu’en 2020 en travaillant 56.000 heures on peut bénéficier d’une retraite de 15 à 20 ans.

Ainsi il serait souhaitable que chaque citoyen puisse disposer d’un compte temps (comme un résumé de carrière aujourd’hui) pour organiser sa vie entre les différentes étapes de son parcours de vie professionnelle et personnelle et travailler pour lui-même ou pour le bien commun selon les moments et événements de sa vie. Toute activité serait rémunérée et prise en compte pour la retraite qui pourrait être décidée à n’importe quel âge selon des conditions négociées par le citoyen.

Toutes occupations contractuelles de la vie seraient alors quantifiées pour chaque individu  (Études, Formation, Engagement politique, Bénévolat, Rôle d’aidant, Maternité, etc.)

Cette meilleure répartition du temps entre vie personnelle et vie sociale permettrait plus d’échanges entre tous les citoyens et donc favoriserait une démocratie plus vivante et plus apaisée.

Carlos Pluvinage

Octobre 2021

 

Pour aller plus loin :

Déjà la nécessité de disposer de temps pour soi et pour les autres  à tous les âges de la vie et en fonction des circonstances devient de plus en plus une revendication portée par les associations ou les mouvements populaires.

On peut retrouver dans les sites d’associations de citoyens des éléments de revendication ou des suggestions dans lequel égalité solidarité citoyenneté seraient les nouvelles valeurs de partage du temps plus fortes que l’argent..

Quelques exemples :

LA PRIMAIRE CITOYENNE

  • Permettre à chacun et chacune de couvrir ses besoins essentiels 

Mettre en place un revenu de solidarité dès 18 ans ; garantir une forme de sécurité alimentaire ; assurer un volume minimum gratuit pour l’eau/gaz/électricité avec une progressivité des tarifs pour les ménages ; et abandonner la réforme de l’assurance-chômage

  • Un emploi et un salaire juste pour toutes et tous

Garantir un emploi pour toutes et tous ; et favoriser une forme de diminution du temps de travail (différentes selon les candidats et candidates : semaine de quatre jours, 32h, davantage de congés payés ou retraite à 60 ans). Pour un travail digne : rehausser le SMIC ;  réduire les écarts de salaires ; relocaliser les activités et accélérer la transition écologique. Renforcer l’égalité salariale entre femmes et hommes et instaurer le congé parental égalitaire et obligatoire. 

SITE CONVENTION CITOYENNE POUR LE CLIMAT

  •  Plus de temps libre pour soi et pour les autres (à occuper en cohérence avec les enjeux climatiques) et un retour à l’équilibre (pour soi comme pour la société qui consommera en cohérence avec les ressources des territoires et de la Terre) ;
  •  Une amélioration de la qualité de vie et l’encouragement à une consommation plus saine et beaucoup plus raisonnée ;
  •  Un esprit de justice sociale ;
  •  Plus de temps pour soi et pour apprendre à vivre différemment.
  • Ces évolutions ainsi que la diminution de la production et de la quantité de travail contribueront à :
  • Un partage équitable du temps de travail afin que chacun puisse travailler et être rémunéré (réduction du chômage)
  • Au travers de ce partage équitable, il doit également y avoir un souci constant de réduction des injustice sociales

PLACE PUBLIQUE

Une nouvelle répartition du temps de travail doit nous permettre d’avoir des plages horaires libérées pour mener à bien toutes ces activités essentielles au bien-être et à la vie en société.

Nos systèmes de retraites sont intimement liés à nos systèmes de production, et en ce  sens, ils doivent tous deux évoluer au regard de la nécessaire nouvelle répartition du temps de travail, rémunérer les professions selon leur utilité sociétale et assurer à toutes et tous des revenus décents. 

La retraite n’est pas une fin de vie, mais bien un temps propre qui doit bénéficier de pensions dignes. Elle doit se baser sur un système solidaire, équitable et par répartition qui permette à chacun, quelles que soient les étapes de sa vie, de vivre correctement sa retraite.

LE JOUR D’APRÈS

Aller vers un revenu universel, en commençant par élargir le RSA aux 18-25 ans pour que les jeunes ne soient plus exclus des minimas sociaux. Construire une protection sociale adaptée pour les travailleurs indépendants et les travailleurs des plateformes.

Accentuer l’égalité professionnelle et l’inclusion dans l’emploi et en y associant plus étroitement les entreprises, et en garantissant un droit à la formation grâce à une allocation universelle de formation

Créer un fonds « zéro-expulsion » pour éviter les expulsions locatives et compléter le plan de lutte contre la pauvreté par des aides à l’investissement pour les collectivités et pour les associations

Favoriser l’apprentissage de l’engagement citoyen à l’école et renforcer l’éducation contre toutes les discriminations

Réformer le congé parentalité pour le rendre plus égalitaire